Quel constat tirez-vous de vos recherches sur le traitement en France de la question des transidentités en milieu scolaire, et plus particulièrement en EPS ?  

« Force est de constater qu’en 2024, les publications scientifiques prenant pour objet le trouple « transidentités-École-EPS » se comptent sur les doigts de la main. »  

Tout d’abord, je constate que la pénurie de travaux sur la « question trans » dans les champs des sciences de l’éducation (SDE) et des sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS) tend à perdurer. Force est de constater qu’en 2024, les publications scientifiques prenant pour objet le trouple « transidentités-École-EPS » se comptent sur les doigts de la main.  

De mon point de vue, plusieurs éléments permettent d’expliquer ce déficit : en premier lieu, force est d’admettre que le milieu scolaire est un terrain peu accessible aux chercheurs, et particulièrement imperméable aux études de genre. En fait, l’École de la République, dès lors qu’elle hérite du projet universaliste, se positionne en porte-étendard d’une apparente neutralité dans l’éducation. Elle se refuse ainsi – du moins, officiellement – à considérer les élèves sous le prisme de leur sexe, de leur genre ou de leur identité de genre… Or, c’est précisément un examen inévitable dans les travaux menés dans le champ des études trans. Il est ainsi peu étonnant qu’une relative scission entre la recherche et l’institution scolaire puisse être identifiée en France et de surcroît constituer une explication à la pauvreté de la littérature scientifique investiguant les expériences transidentitaires en EPS.  

Plus précisément, en EPS, j’interprète cette carence à l’aune de l’identité professionnelle des protagonistes de la filière STAPS, bien qu’elle soit de toute évidence très hétérogène. Inévitablement marquée du sceau de l’hétéronormativité et de la cisnormativité, une large part des professionnels de cette discipline d’enseignement sont certainement moins enclins à investir le champ des études trans. J’identifie néanmoins un intérêt naissant et indéniable pour ces objets de recherche : certains mémoires d’étudiants témoignent assez bien de cette dynamique.  

Un autre constat qu’il convient d’évoquer lorsqu’on examine le triptyque « transidentités-École-EPS », renvoie à la prédominance de la discipline au sein des parcours scolaires des élèves trans. Ce point est sans appel : le vécu des transidentités en EPS façonne amplement les contours de l’expérience de ces jeunes en milieu scolaire. 

Quelles sont les difficultés auxquelles sont confrontés les personnels d’éducation en EPS s’agissant de transidentité ?  

« Une grande partie des acteurs de l’EPS est effectivement assez démunie lorsqu’il s’agit d’accueillir les jeunes trans dans cette discipline d’enseignement. »

Je dois préciser que lesdites difficultés varient particulièrement d’un acteur à l’autre. En fait, les situations sont très diverses et fortement dépendantes des contextes locaux. Elles sont également tributaires du positionnement de l’enseignant à l’égard de la « question trans ». 

Par exemple, certains professionnels de l’EPS sont très sensibles aux LGBTphobies et s’avèrent de redoutables experts des besoins des transidentités. À vrai dire, ces adultes ne considèrent aucunement la prise en compte des jeunes trans comme une problématique éducative ou une difficulté. Eux déclarent accepter, sans condition, les demandes de leurs élèves. Cependant, il n’en demeure pas moins qu’ils restent tout de même en butte à la prise en compte de certains jeunes en particulier, notamment ceux en questionnement et/ou qui n’ont pas encore fait leur « coming-out ». Effectivement, les adolescents dont l’identité de genre est ignorée sont nécessairement mégenrés dans le cadre cisnormatif de l’institution scolaire. En fin de compte, il est assez rare d’échanger avec des professionnels de l’EPS qui, à partir de cette réflexion, (re)pensent en amont la mise en œuvre de leur discipline. 

Ensuite, une grande partie des acteurs de l’EPS est effectivement assez démunie lorsqu’il s’agit d’accueillir les jeunes trans dans cette discipline d’enseignement. Contrairement aux présupposés, mes recherches suggèrent que ce sont l’utilisation du prénom d’usage et du pronom choisi par l’élève qui cristallisent leurs craintes : une appréhension finalement assez universelle chez les membres de la communauté éducative. Néanmoins, d’autres éléments plus spécifiques à l’EPS sont fréquemment évoqués dans les entretiens que je mène sur le terrain. Ainsi, la gestion des vestiaires est de loin le point le plus mentionné dans mon enquête. Bien qu’une circulaire publiée à la rentrée scolaire de 2021 invite les enseignants à proposer aux élèves trans l’accès au vestiaire de leur choix, force est de constater que cette option interroge les adultes de l’Éducation nationale. En réalité, la circulaire est bien souvent ignorée, et ce sont davantage les inquiétudes à l’égard de la réaction des parents qui guident finalement les pratiques. De plus, je relève de nombreuses préoccupations concernant les barèmes de notation. En fait, elles proviennent principalement des enseignants en lycée, lesquels sont aujourd’hui les seuls à être enjoints de distinguer, dans certains cas, les performances des filles de celles des garçons.  

Le 29 décembre 2023, le Conseil d’État a validé la circulaire du 29 septembre 2021. Le texte fixe les lignes directrices à l’attention des personnels d’éducation pour une meilleure prise en compte des enfants en questionnement de genre au sein de l’institution scolaire. De nombreuses associations luttant contre les discriminations et violences à l’égard de la communauté LGBTQIA+ regrettent le manque d’exhaustivité de la directive. L’EPS n’y est par ailleurs pas abordée. Qu’en pensez-vous ? 

« Bien que cette circulaire soit lacunaire à certains égards, il convient de reconnaitre qu’elle constitue une avancée majeure dans la prise en compte des transidentités en milieu scolaire. »

En premier lieu, je crois essentiel d’admettre qu’elle a le mérite d’exister. Bien que cette circulaire soit lacunaire à certains égards, il convient de reconnaitre qu’elle constitue une avancée majeure dans la prise en compte des transidentités en milieu scolaire. Les différents acteurs de l’Éducation nationale, rencontrés à l’occasion de mon enquête, accueillent d’ailleurs assez bien ces lignes directrices. Dès lors qu’elle fixe un cadre clair qui, jusqu’à la rentrée 2021, était absent, elle rassure indéniablement les membres de la communauté éducative.  

À vrai dire, les associations de lutte contre les discriminations LGBTphobes regrettent principalement la nouvelle injonction relative à l’utilisation du prénom d’usage.  

Concernant le manque d’exhaustivité de cette circulaire, je ne peux que partager ce constat. Je plaide fréquemment pour une disciplinarisation de ces directives. D’autant plus pour l’EPS, discipline au sein de laquelle des questionnements saillants restent en suspens. À l’exception de l’organisation des vestiaires, force est de constater que les particularismes disciplinaires n’y sont aucunement évoqués. Par exemple,  je pense aux barèmes de notation qui, pour l’épreuve du baccalauréat, peuvent provoquer de véritables interrogations chez les enseignants d’EPS. Les questionnements sont de surcroît très vifs lorsqu’il s’agit de faire pratiquer des activités aquatiques aux élèves trans, lesquels s’en dispensent d’ailleurs bien souvent. Bref, la singularité de cette discipline d’enseignement requiert certainement un positionnement explicite de la part du législateur.  

En attendant, des initiatives individuelles foisonnent néanmoins. Sont-elles pertinentes ? En tout cas, elles ont le mérite d’être engagées et confirment la capacité d’adaptation des enseignants d’EPS. 

Les cours d’EPS à l’école, et les activités sportives d’une manière générale, sont éminemment genrés : bicatégorisation des sexes, vestiaires, douches, barèmes de notation, notions de performance, de compétition… Comment les élèves qui ne se reconnaissent pas dans leur genre assigné vivent-ils leur expérience sportive dans ce contexte cisnormatif ? 

« L’EPS, un lieu aussi bien contraignant qu’inspirant. »

Contrairement aux idées reçues, l’EPS n’est pas nécessairement traumatisante pour les transidentités. Bien au contraire ! En fait, le « coming-out » est le pivot des expériences des jeunes trans dans la discipline. Souvent, ce sont les jeunes en questionnement ou dont l’identité de genre est ignorée qui traversent de véritables épreuves en EPS. Les filles trans sont d’ailleurs d’autant plus éprouvées dans la discipline : elles y sont effectivement socialisées comme des garçons. Ce n’est pas tout à fait le cas pour les garçons trans, qui voient dans la discipline une opportunité d’investir un champ éminemment masculin. En cela, l’EPS devient un terrain privilégié, à condition d’être « out », pour rejeter le genre assigné et affirmer une identité de genre. En effet, quoi de mieux qu’une discipline aux normes particulièrement tenaces pour (re)performer le genre ?  

Dans mon ouvrage, cinq particularismes disciplinaires au cœur des expériences des jeunes trans sont évoqués. Tous révèlent ce paradoxe singulier qui fait de l’EPS, un lieu aussi bien contraignant qu’inspirant. En premier lieu, ce sont les vestiaires qui constituent des espaces à fuir et/ou à reconquérir. L’exposition du corps dans la discipline, en particulier dans les activités aquatiques, est également centrale. Bien qu’elle puisse être éprouvante, il s’agit d’une opportunité de révéler un corps stéréotypé qui renvoie au féminin/masculin. Par ailleurs, les formes de groupement en mixité et non-mixité, lesquelles requièrent d’identifier des filles/garçons, sont en outre singulièrement expérimentées par les transidentités. Les investir est à double tranchant : c’est une épreuve qui, en somme, permet de faire la preuve de son identité de genre. Il en va de même pour les barèmes de notation. Les garçons trans semblent par exemple bien hésitants à être notés comme les autres garçons. Ce qui est loin d’être le cas pour les filles trans qui, lorsqu’elles sont interrogées, y voient souvent un double avantage : avoir une meilleure note et être reconnues comme de « vraies filles ». Les différentes activités physiques, sportives et artistiques (APSA) sont également largement discutées par ces jeunes. Dès lors qu’elles sont éminemment genrées, les élèves trans qui s’en éloignent et/ou s’en passionnent révèlent une identité de genre. 

Comment les barèmes de notation garçons/filles s’appliquent-ils aux élèves transgenres, et avec quelles conséquences ? Quelles pistes envisager pour faire évoluer ce système ? 

« La popularisation des performances auto-référencées témoigne qu’il est possible de conserver la logique interne des activités sportives tout en écartant le risque d’essentialiser et de normaliser les performances des unes et des autres. »

Tout d’abord, il me semble important de rappeler que le recours à des barèmes de notation garçons/filles n’est aucunement une fatalité en EPS. Au collège, les enseignants sont tout à fait libres de définir des modalités d’évaluation dans lesquelles l’indexation de la note au sexe de l’élève est écartée. Ce choix peut également être privilégié au lycée, plus précisément, lorsqu’il s’agit d’évaluer les jeunes de seconde et de première.  

En fait, ce n’est qu’en terminale que le législateur prescrit aux enseignants de distinguer les performances des filles de celles des garçons. Quoi qu’il en soit, il est néanmoins pertinent de questionner la légitimité de cette distinction, aussi minime soit-elle, notamment à l’aune de la « question trans ». Mes recherches indiquent qu’une majorité d’élèves trans sont inévitablement contraints de conserver le barème qui correspond à leur sexe d’état civil. Or, avant l’âge de 18 ans (ou bien de 16 ans pour les jeunes émancipés), ce dernier reste celui défini à la naissance. Par conséquent, les transidentités sont invitées à performer le genre qui leur est assigné. J’ai néanmoins eu l’occasion de relever quelques entorses à cette injonction. Ainsi, certains professionnels de l’EPS attribuent à ces jeunes, officieusement, le barème qui correspond à leur identité de genre, tout en déclarant officiellement les noter à l’aide du référentiel correspondant au genre qui leur est assigné. Outre le fait que la note de certains élèves trans peut en être défavorablement impactée, ce changement de barème est indéniablement profitable à la reconnaissance de l’identité de genre des protagonistes. À l’inverse, les jeunes trans identifiés comme cisgenres, en questionnement ou bien dont l’enseignant s’attache à appliquer le cadre énoncé par les textes institutionnels, sont inéluctablement affectés par cette bicatégorisation des barèmes de notation.  

Bref, il y a effectivement urgence à faire évoluer ces modalités d’évaluation en EPS. À vrai dire, les acteurs de la discipline y travaillent depuis plusieurs années. La popularisation des performances auto-référencées témoigne qu’il est possible de conserver la logique interne des activités sportives tout en écartant le risque d’essentialiser et de normaliser les performances des unes et des autres. Au risque de la résumer trop succinctement, cette proposition s’appuie sur le postulat de l’hétérogénéité des élèves, laquelle semble tout aussi importante entre les filles et les garçons qu’au sein de ces deux groupes. Il s’agit de soutenir qu’il est finalement moins opportun de bicatégoriser les barèmes que de les individualiser. Dans ce cadre, la « performance maximale » de l’élève, à laquelle le législateur est attaché, s’évalue à l’issue de la séquence d’enseignement en référence à celle atteinte lors des premières leçons. En résumé, il n’est même plus question de sexe, de genre ou d’identité de genre, mais bien d’élèves. Ainsi, les freins à la prise en compte des transidentités sont finalement neutralisés avant même qu’ils apparaissent, et le précepte d’intégration laisse place à celui de l’inclusion. 

L’usage des espaces d’intimité peut être extrêmement angoissant pour les personnes trans. Ces espaces peuvent en outre être les lieux de moqueries, d’insultes, de harcèlement. Quelles options peuvent être envisagées par les établissements pour inclure les élèves transgenres et lutter contre les comportements transphobes ?

« À terme, le vestiaire collectif agenre est une solution possible. La proposition peut paraître utopique, certes. Elle est néanmoins la plus raisonnable du point de vue de la sociologie du genre. » 

Pour être tout à fait précis, les transidentités semblent avoir bien compris que ce sont des lieux propices aux LGBTphobies et évitent souvent de s’y rendre. Mes travaux de recherche attestent d’ailleurs de cette désertification fréquente des espaces d’intimité par les transidentités. Par exemple, une majorité d’élèves trans arrivent systématiquement changés en EPS. Finalement, il est raisonnable d’affirmer que la transphobie s’opérationnalise assez peu dans les vestiaires. Mais elle n’y est pas absente ! Certains jeunes trans en sont régulièrement témoins. Souvent, il s’agit d’élèves en questionnement sur leur identité de genre qui, pour des raisons évidentes, acceptent de jouer le jeu de la norme et restent dans le vestiaire qui leur a été attribué en début d’année. En somme, qu’il s’agisse des uns ou des autres, outre la crainte des moqueries, des insultes ou des violences physiques, ces jeunes tendent à fuir le vestiaire en raison de leur rapport au corps. Bien que cette problématique puisse être considérée comme universelle, il n’en demeure pas moins qu’elle est davantage exacerbée chez les adolescents en transition. Ces jeunes vivent inévitablement une puberté singulière, entre accentuation et atténuation du dimorphisme sexué.  

Depuis 2021, le législateur invite les professionnels de l’Éducation nationale à prioriser trois options : autoriser ces élèves à intégrer les vestiaires qu’ils souhaitent ; leur mettre à disposition un espace réservé ; leur proposer un horaire aménagé pour se changer. Lorsque j’analyse ces trois propositions sous le prisme des résultats de mon enquête, je dois admettre que la première option recueille très peu de succès auprès des élèves trans. Notamment, en raison des répercussions que l’intégration dans le vestiaire des filles/garçons pourrait engendrer : insultes, moqueries, harcèlement… Finalement, ce sont souvent les deuxième et troisième options qui semblent les plus appréciables pour les protagonistes. À court terme, ce sont effectivement les propositions que je crois actuellement les plus pertinentes lorsqu’il s’agit d’accueillir un jeune trans en EPS. En fait, elles le sont certainement pour l’ensemble des élèves. On peut néanmoins craindre l’infaisabilité de la deuxième mesure : en effet, les infrastructures des établissements scolaires sont-elles adaptées ? Pas toutes. Je recueille ainsi fréquemment des témoignages de jeunes pour lesquels lesdits « espaces privés » octroyés se résument aux toilettes… Bien qu’elles puissent être appréciées par un certain nombre d’adolescents, ces deux solutions accordées de grâce sont-elles par ailleurs souhaitables ? Je n’en suis pas certain. Les jeunes avec lesquels j’ai eu l’occasion d’échanger m’invitent effectivement à répondre à la question avec prudence. Objectivement, tous regrettent d’avoir manqué cette tranche de vie du vestiaire. C’est indéniable.  

Finalement, n’est-il pas plus pérenne d’agir sur les normes de genre à l’origine du mal-être de certains jeunes dans les vestiaires ? J’en suis convaincu. À terme, le vestiaire collectif agenre est une solution possible. La proposition peut paraître utopique, certes. Elle est néanmoins la plus raisonnable du point de vue de la sociologie du genre.

Par quelles actions les acteurs et actrices de l’EPS peuvent-ils adapter ou transformer leurs pratiques d’enseignement afin d’éviter des situations de mal-être et d’angoisse aux personnes  trans qu’elles aient ou non fait leur « coming-out » auprès de leurs camarades et de leur équipe éducative ? 

« Ce constat nous invite à abandonner la logique intégrative, que je qualifie de différentialiste, pour mobiliser une approche inclusive, que j’ose envisager comme une proposition néo-universaliste. »

Vous soulevez un point très intéressant. Les « coming-out » trans se font relativement tardivement : en moyenne, à l’âge de dix-sept ans. Pour autant, la conscientisation de l’identité de genre est très rapide et intervient dans les premières années de la vie. Il n’est en outre pas excessif de considérer qu’une majorité des jeunes trans ne se manifesteront jamais en milieu scolaire. De fait, comment éviter les situations de mal-être et d’angoisse à l’École et en EPS ? Je vais m’attacher à proposer quelques pistes de réponse. 

La logique d’intégration adoptée par les enseignants, et dont l’existence mérite d’être saluée, est en fait très fortement limitée. Elle néglige les besoins des jeunes en questionnement et ceux des élèves dont l’identité de genre est tout simplement ignorée par l’équipe éducative. Ils sont mégenrés quotidiennement, créant effectivement des situations de mal-être et d’angoisse que j’ai largement décrites dans mon ouvrage. Dans ce cas précis, la plupart des collègues expliquent être inévitablement impuissants : ce n’est pas totalement vrai. En fait, ce constat nous invite à abandonner la logique intégrative, que je qualifie de différentialiste, pour mobiliser une approche inclusive, que j’ose envisager comme une proposition néo-universaliste. Il s’agit de (re)penser la discipline sous le prisme transidentitaire… Ou plutôt de ne plus la penser sous le prisme cisidentitaire. Ce ne sont plus les élèves trans qu’il s’agit d’intégrer dans un système de genre binaire relayé en EPS, mais bien le système de genre binaire qu’il s’agit de désintégrer. Autrement dit, de déconstruire.  

L’exercice nécessite de l’audace. Il passe par plusieurs actions ambitieuses. En premier lieu, par la désindexation des vestiaires sur le critère « sexe » qui, lorsqu’on y réfléchit, n’est pas si incohérente. Effectivement, pour quelle raison y séparer les garçons des filles ? Sous prétexte que les uns seraient attirés par les autres ? Les garçons seraient inévitablement des prédateurs face aux jeunes filles ? Je n’y crois pas. D’ailleurs, qu’en est-il des élèves non hétérosexuels ? Eux illustrent singulièrement qu’une cohabitation entre des élèves de la même orientation sexuelle est possible. Par ailleurs, l’angoisse des élèves trans, lorsqu’il s’agit d’investir un barème ou un autre, peut aisément être évacuée. La préférence des performances auto-référencées clôt le débat. Elles assurent la poursuite des finalités de l’EPS et garantissent la possibilité, pour les jeunes, de se dépasser dans les APSA : un élément à priori si essentiel pour s’inscrire dans la logique interne du sport. Enfin, je vais être bref à l’égard des formes de groupement dont le principe de mixité et de non-mixité guide encore la constitution : n’est-il pas plus pertinent de raisonner en termes de besoins ? La plupart des enseignants d’EPS semblent avoir tranché en ce sens.  

Certes, la débinarisation de la discipline est ambitieuse. Elle requiert une rupture brutale avec des normes de genre profondément ancrées dans nos sociétés. Elle est en outre soumise à de vives critiques. D’une part, celles qui émanent d’acteurs souhaitant maintenir l’ordre du genre ; d’autre part, celles de certaines personnes trans dont la féminité/masculinité est constitutive de leur identité. L’exercice est périlleux. J’en conviens. Il n’en demeure pas moins qu’il est à terme éminemment libérateur pour l’ensemble des jeunes, lesquels évoluent tous sous le joug d’une socialisation de genre normative. 

 

Transidentités en Éducation Physique et Sportive (EPS), Bastien Pouy-Bidard , L’Harmattan, coll. « Prix scientifique », 2022, 160 p. Préface d’Anne Barrère et Dominique Bret.