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Entretien avec une ergonome Sorties scolaires : comment mieux prévenir les risques ?La formation aux risques du métier d’enseignant : 5 questions à Yannick Kerjean
1. Quelles formations à L’INSPÉ de Reims abordent les risques liés à l’exercice du métier d’enseignant ?
« Ce sont essentiellement dans les masters MEEF 1er degré et 2nd degré et les masters de la mention 4, plus orientés sur l’aspect professionnel et recherche, qu’on va retrouver les problématiques risques. »
L’INSPÉ de Reims porte plusieurs masters, les DSDEN (directions des services départementaux de l’Éducation nationale) des rectorats portent les formations professionnelles, la formation continue et les concours.
Premier type de master à l’INSPÉ : les masters MEEF (master de l’enseignement, de l’éducation et de la formation), 1er degré et 2nd degré.
Deuxième type de master : les masters de la mention 4, plus orientés sur les aspects professionnels et recherche, ce sont des masters à distance, beaucoup fréquentés par des professionnels qui sont en formation continue. Dans cette mention, un parcours en particulier va développer toutes ces problématiques de risques : le parcours IDT (inégalités, discriminations et territoires) orienté recherche, avec un peu de formation initiale, mais beaucoup de formation adulte.
Ce sont essentiellement dans ces deux masters qu’on va retrouver les problématiques risques. Il y a aussi toutes les licences sciences de l’éducation, notamment les licences préparatoires au professorat des écoles, et les licences sciences de l’éducation qui vont aussi dispenser des contenus autour de l’école inclusive au sens général.
On trouve une graduation dans les contenus. Du plus macro – c’est-à-dire le fonctionnement, la construction de l’école, le fonctionnement général, organisationnel, philosophique, qu’est-ce que la philosophie de l’inclusion – jusqu’aux problématiques d’apprentissage.
En master MEEF première année, on est plutôt sur des contenus académiques, avec un peu de lien avec le stage en pratique accompagnée. En master 2, il y a à la fois des contenus académiques, notamment comment l’enseignant va mettre en œuvre des dispositifs pour que les élèves puissent apprendre, comment il va prendre en compte la diversité des classes quelle qu’elle soit, mais aussi un lien plus fort avec le monde professionnel du fait de l’alternance. Il est nécessaire à la fois pour l’entrée dans le métier des jeunes enseignants, mais aussi pour la préparation au concours de professeur des écoles.
Donc, trois axes motivent les enseignements : l’axe académique dit de « savoirs », l’axe « entrée dans le métier », en relation avec les lieux de stage et l’axe « préparation des concours ».
2. Ces formations couvrent-elles tous les risques ?
« À Reims, tous les risques sont abordés dans la maquette de formation. »
À Reims, tous les risques sont abordés dans la maquette de formation. On va ainsi traiter des inégalités, de la prise en compte des diversités pour que l’école soit vraiment une école inclusive dans le respect des valeurs de la République. Également les harcèlements, quels qu’ils soient, la relation aux parents qui est une grosse problématique aujourd’hui sur les dossiers que traite L’ASL, et s’est dégradée depuis 2020, selon les études sur le climat scolaire. On va retrouver tout le travail autour des climats scolaires, avec des sociologues, tout ce qui concerne la déontologie et l’éthique par rapport au code de l’éducation. Ce travail sur les valeurs et la déontologie est développé dans un premier espace dans la maquette de formation des masters 1 et 2, mais on le retrouvera aussi dans les licences sur l’éducation. Nous l’appelons UE transversale (unité d’enseignement transversale). Dans cette UE transversale, on retrouve les domaines des valeurs et du système éducatif. On va décliner les problématiques des discriminations de genre, des égalités filles-garçons, des harcèlements, de la sanction, du rapport à la sanction, du respect de l’élève, de la relation psychopédagogique enseignant-élève. On va développer aussi la question de la relation aux parents. On retrouve aussi de gros volumes d’intervention sur la laïcité, la déontologie et la diversité. Et dans ces problématiques-là, des dispositifs d’apprentissage, le travail collaboratif, notamment avec les parents, l’enseignement explicite pour mieux apprendre, etc. Cette UE transversale est animée par une grosse équipe académique que je coordonne avec des sociologues, des psychologues, des chercheurs en sciences de l’éducation, des enseignants 1er degré et 2nd degré.
3. Les mises en situation que pratiquent les élèves lors de certaines formations correspondent-elles à une réalité du terrain ?
« On voit que cette question des risques du métier démarre dès la formation et dès l’alternance. Dès le début, les étudiants sont confrontés de toute façon à des situations qui leur posent question car ils sont en responsabilité de classe. »
On ne peut pas faire de formation théorique sans faire de lien avec le vécu ou les expériences quelles qu’elles soient, les nôtres, celles de la recherche ou celles des étudiants et des stagiaires. Donc, oui, elle est théorique et complètement en relation avec le terrain.
Cela étant, la part pèse plus ou moins en fonction des publics auxquels on s’adresse. Par exemple, nous formons les lauréats des concours de professeur des écoles ou de professeur en candidat libre, des gens un peu plus âgés, qui changent de métier. Ils sont formés à 50 % INSPÉ, 50 % responsabilité terrain. La part terrain est encore plus importante, car on est vraiment axé sur l’entrée dans le métier.
Ensuite, dans les dispositifs de formation, on a trois options : une option « école maternelle », une option « école inclusive », et une option « enseigner à l’international ». Les demandes sont très fortes pour les trois options, et donc, nous envisageons dans la future maquette de formation de faire un tronc commun « école maternelle/école inclusive », avec la possibilité à partir du semestre 2 de choisir l’un ou l’autre.
Troisième dispositif, à partir du master 2, toujours dans le cadre des cours : les espaces d’analyses de pratiques professionnelles où, en petits groupes, les étudiants vont poser des situations qu’ils vivent au quotidien en classe, parce qu’ils sont en alternance. Et là, nous allons les analyser et amener des éléments de réponses collectifs, même si parfois ils sont compliqués à trouver compte tenu des situations. On voit que cette question des risques du métier démarre dès la formation et dès l’alternance. Dès le début, les étudiants sont confrontés de toute façon à des situations qui leur posent question, car ils sont en responsabilité de classe.
Si je reprends ma casquette de L’ASL, il m’est arrivé d’avoir des dossiers de stagiaires face à une agression de parents, et cela alors qu’ils ont quelques mois d’enseignement.
En maternelle, les responsabilités sont très compliquées par rapport à la décharge de responsabilité. Et c’est vrai qu’il est arrivé par exemple qu’un stagiaire a eu besoin d’être protégé, même si l’affaire n’est pas allée loin.
Le dernier dispositif, hors maquette, c’est un espace de formation dans lequel on peut amener des conférences, des événements. On organise par exemple la journée des partenaires où l’on demande à nos partenaires – dont L’ASL – de faire vivre un atelier avec des outils réels que les élèves peuvent amener en classe. Je fais intervenir une avocate de L’ASL dans les cours de déontologie, pour tous les publics que j’ai énumérés, sur la question des harcèlements, cyberharcèlements, leur gestion dans les établissements. Et puis, les collègues de la DSDEN participent aussi pour créer un lien fort avec le métier et limiter aussi ces risques du métier.
4. Est-ce que les remises en cause de certains savoirs qui peuvent exister dans les cours d’histoire ou de biologie, par exemple, sont des situations qui sont abordées ?
« Toutes ces questions-là, sur des cas pratiques, nous les développons, non seulement parce qu’on est sur la posture, le geste professionnel, mais aussi parce que ce sont des questions de concours. »
Personnellement, je les aborde. Par exemple, dans le cadre de mes cours sur la préparation à la 2e épreuve de professeur des écoles. Cela fait partie des questions de concours : « Ce matin, un parent vous demande que la leçon sur la Terre soit retirée, parce que la Terre est plate. » ou « Un parent ne veut pas que son enfant participe à la sortie obligatoire sur les heures scolaires, parce que vous allez visiter une église ou une mosquée. Quelle est votre réaction ? » On cherche à connaître le point de vue professionnel et la réaction, la posture professionnelle. Autre exemple : « La veille, en maternelle, vous avez utilisé des baigneurs pour une leçon sur le corps humain, un papa vient vous voir et dit qu’il refuse que son fils joue à la poupée. Que faites-vous en tant qu’enseignant ? »
Donc, toutes ces questions-là, sur des cas pratiques, nous les développons, non seulement parce qu’on est sur la posture, le geste professionnel, mais aussi parce que ce sont des questions de concours. Et elles sont reprises évidemment institutionnellement dans les plans laïcité.
5. Selon vous, ces formations sont-elles suffisantes ? Quelles pistes pour améliorer la formation aux risques du métier d’enseignant ?
« Les étudiants qui débutent, savent qu’ils vont devoir faire parfois face à des contextes difficiles, mais ils ne s’attendent pas à se faire agresser par un parent à la sortie de l’école ou à être menacés. »
On n’est jamais assez formé, d’abord parce que les contextes sont en évolution constante, ensuite parce qu’on vit parfois des situations auxquelles on ne s’attendait pas, et pour lesquelles on ne sait pas comment on va réagir.
Les étudiants qui débutent, savent qu’ils vont devoir faire parfois face à des contextes difficiles, mais ils ne s’attendent pas à se faire agresser par un parent à la sortie de l’école ou à être menacés.
Un autre risque des métiers qui est très compliqué à gérer aussi pour les enseignants, c’est le sujet des signalements et des informations préoccupantes. Je l’aborde, parce que je viens du terrain et que j’ai vécu des signalements et des informations préoccupantes. D’ailleurs, ce sujet fait partie des situations de concours. Les enseignants sont-ils bien formés à cela ? Non, tant qu’ils n’ont pas vécu la situation. C’est violent de faire une information préoccupante (IP) et de se confronter aux parents en disant : « Voilà, j’avertis ma hiérarchie que je suis inquiet pour votre enfant ». Moi, j’avais lu des interviews où les enseignants témoignaient que c’était douloureux à faire. À la fois « Il faut le faire » et « On sait que ça aura des conséquences ». Et puis, comme on est obligé de prévenir les parents sur les IP (pas sur le signalement), on prend contact avec eux, et là il faut gérer leurs réactions, parfois des menaces, des agressions, ça peut aller loin. Certains dossiers à L’ASL font état d’une plainte déposée pour violence contre l’enseignant 15 jours après l’IP. Ces risques du métier existent, et on n’y est pas assez formés.
En formation, on aborde complètement la problématique autour des contextes difficiles et des risques. Sur les cinq sites de l’INSPÉ de l’université de Reims, les collègues sont des experts, ils viennent tous du terrain et ont tous enseigné. Le maillage de l’INSPÉ avec nos collègues du terrain et de la DSDEN est une de nos forces. Grâce à cela, on peut amener plus de formations et plus d’éléments de formation aux contextes compliqués.
Je pense qu’on peut être encore plus efficaces, notamment sur le continuum de formation, pour amener des éléments plus concrets et de plus en plus précis, et éviter les redondances. L’idée, c’est qu’on ait vraiment une trame de formation qui commencerait au premier projet de l’étudiant, dès la licence jusqu’au début de la formation continue, c’est-à-dire pour les trois premières années. Pour gagner en efficacité, il faut une fluidité dans le parcours de formation.
À l’URCA (université de Reims Champagne-Ardenne), on a la chance d’avoir un très bon relationnel avec les services académiques, le rectorat, l’EAFC (école académique de formation continue). Cela nous permet de faire de la co-intervention. Qu’il s’agisse des IEN (inspecteurs de l’Éducation nationale), des conseillers pédagogiques, des maîtres formateurs ou des IPR inspecteurs pédagogiques régionaux), nous travaillons en partenariat, nous nous complétons. L’échange transparent des informations nous permet aussi d’être réactifs face à certaines situations de classe que certains vivent et d’être en mesure d’adapter la formation en fonction des besoins à ce moment-là. À l’INSPÉ Champagne-Ardenne, avec le rectorat et les DSDEN des quatre départements, nous avons cette chance de bien nous entendre et d’œuvrer collectivement.