Benjamin Moignard, qu’est-ce qu’un « élève à comportement hautement perturbateur » selon vous ?

« Ce type d’élève est la figure contemporaine de la déviance scolaire, c’est-à-dire de l’élève qui n’est pas adapté aux attentes de l’institution. »

Il y a un problème dès la définition du terme : je ne sais pas ce qu’est un « élève à comportement hautement perturbateur », ni combien il y en a. On avance le chiffre de 1 500 mais, à ma connaissance, il n’y a aucune donnée fiable, ni aucun protocole spécifique. Pour exemple, dans les deux académies franciliennes que sont Créteil et Versailles, on n’aborde pas du tout la question de la même façon, ni avec les mêmes dispositifs.

Personnellement, je m’en tiens donc à parler d’« élève à comportement perturbateur », c’est-à-dire un élève qui a un comportement de confrontation face à l’ordre scolaire. Ce type d’élève est la figure contemporaine de la déviance scolaire, c’est-à-dire de l’élève qui n’est pas adapté aux attentes de l’institution. Cette figure se construit toujours en opposition à celle d’un élève idéal. À une époque, on opposait à cet élève idéal la figure du « cancre ». Aujourd’hui, c’est celle de l’« élève perturbateur ».

Sauf que le cancre semblait plus sympathique, moins porté sur la violence…

« Oui, il y a aujourd’hui des comportements problématiques, mais il ne faut pas croire que les violences scolaires ont émergé soudainement et que tout était calme auparavant. »

Attention à l’image d’Épinal, très IIIe République, qu’on a trop souvent de notre école. Oui, il y a aujourd’hui des comportements problématiques, mais il ne faut pas croire que les violences scolaires ont émergé soudainement et que tout était calme auparavant. On a de nombreux exemples historiques qui prouvent que ce n’était pas le cas, comme les émeutes juvéniles des lycées parisiens aux XVIIIe et XIXe siècles : il n’était pas rare à l’issue de celles-ci de retrouver les surveillants généraux pendus devant les établissements…

Pourquoi alors ces élèves sont-ils aujourd’hui plus spécifiquement montrés du doigt ?

« Parler d’élève à comportement hautement perturbateur est un moyen commode de ne pas interroger l’institution. »

Je crois que c’est une façon commode pour le politique de ne pas aborder des sujets plus systémiques, et de faire porter la responsabilité de leur inadaptation aux individus eux-mêmes, désignés comme des boucs émissaires. Quand on dit « cet élève est hautement perturbateur », on naturalise le problème en sous-entendant qu’il vient uniquement de lui, et non de l’institution. On l’essentialise comme un « sauvageon » (autre terme longtemps utilisé) dont on ne pourra jamais rien faire, et on prétend régler la question.

C’est confortable, assurément, mais ce faisant, on colle surtout à ces enfants une étiquette qui n’a pas grand-chose à voir avec leur statut d’élève et qui repose essentiellement sur des assignations sociales, sexuées et racialisées. En ce sens, c’est une forme de pathologisation du monde social.

De quoi ces élèves sont-ils, à tort ou à raison, jugés seuls responsables ?

« On a une contradiction fondamentale aujourd’hui entre une institution qui dit vouloir accueillir tous les enfants tout en étant de plus en plus normative. »

De leur difficulté à s’intégrer au cadre scolaire, dans un contexte d’évolution de la nature et de la composition sociale des établissements. Pour le dire très schématiquement, on ne s’est jamais vraiment remis en France de la massification scolaire et du fait que tous les élèves ne sont plus immédiatement en proximité avec les codes de l’institution.

On a une contradiction fondamentale aujourd’hui entre une institution qui dit vouloir accueillir tous les enfants tout en étant de plus en plus normative. Cela dans un contexte où l’on a en réalité de moins en moins de moyens pour gérer des élèves avec des besoins éducatifs particuliers, parmi lesquels on peut classer ces élèves à comportements « hautement perturbateurs ». C’est alors aux personnels éducatifs que l’on demande de résoudre seuls cette équation impossible. Ce paradoxe est précisément l’une des causes des relations aujourd’hui dégradées entre les enseignants et leur hiérarchie.

Vous soulignez pourtant dans vos travaux l’importance de la cohésion des équipes pour l’amélioration du climat scolaire et la baisse des violences…

« Nous sommes, par exemple, le seul pays où existe le métier de CPE (conseillers principaux d’éducation), ce qui illustre bien que l’on met la vie scolaire à côté de l’enseignement. »

Absolument. Les problèmes les plus importants qu’ont à gérer les acteurs éducatifs aujourd’hui ne sont pas vis-à-vis des élèves, mais bien entre adultes, avec leurs collègues ou leur hiérarchie. Or, on sait que lorsque l’équipe éducative fait vraiment équipe, cela a un impact très direct sur ce qu’il se passe en classe. Nous avons, par exemple, comparé des établissements REP+ (réseaux d’éducation prioritaire renforcée) aux profils sociaux semblables, mais où les pratiques éducatives sont différentes, et cela se vérifie : plus les personnels travaillent ensemble, meilleur est le climat scolaire, et moins il y a de violences.

C’est particulièrement compliqué en France, car nos enseignants sont trop peu formés, d’une part, à travailler en équipe et, d’autre part, à s’occuper autant de l’enseignement que des aspects éducatifs. Nous sommes, par exemple, le seul pays où existe le métier de CPE (conseillers principaux d’éducation), ce qui illustre bien que l’on met la vie scolaire à côté de l’enseignement.