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Qu’est-ce qui a abouti, à la fin du XIXe siècle, à l’idée d’une éducation obligatoire pour les femmes, au même titre que pour les hommes ?
« Le souci de Ferry n’est donc pas tant de scolariser les filles que d’en faire des “républicaines”. »
Il est remarquable que la loi Jules Ferry de 1882 rende l’école obligatoire non seulement pour les garçons, mais aussi pour les filles. Il faut toutefois souligner que, s’il y avait un retard aux siècles précédents quant à la scolarisation des filles, celui-ci est résorbé dès la fin du Second Empire. Le souci de Ferry n’est donc pas tant de scolariser les filles que d’en faire des « républicaines ».
Cela passe en particulier par l’idée de les soustraire à l’influence de l’Église, via un programme d’instruction morale et civique qui insiste sur les principes républicains. Car même si les femmes, à l’époque, ne votent pas et ne sont pas éligibles, elles ont une influence politique à l’intérieur du foyer.
Les éduquer voulait-il dire offrir une place équivalente aux femmes dans le système éducatif et la société ? Quel était, à l’époque de la IIIe République, le contenu de cette éducation ?
« Le mot d’ordre de l’époque était “l’égalité dans la différence” : on considérait que la place de la femme était au foyer, en tant qu’épouse et mère. »
Le mot d’ordre de l’époque était « l’égalité dans la différence » : on considérait que la place de la femme était au foyer, en tant qu’épouse et mère. Il ne s’agissait nullement de les émanciper, bien au contraire. Même si l’on instaure dès 1880, avec la loi Camille Sée, un enseignement secondaire féminin, il est délibérément conçu comme fort différent de celui des hommes. Les rares femmes qui y accèdent, issues pour la plus grande partie de la bourgeoisie, sont destinées à être… des femmes de bourgeois. Pas question donc qu’elles passent le baccalauréat, qui est exclusivement masculin. À la place, en guise de brevet de fin d’études secondaires, elles n’ont qu’un examen dit « désintéressé », puisqu’elles ne peuvent de toute façon pas aller dans le supérieur.
Pour ce qui concerne les écoles communales, les programmes d’histoire et de géographie sont identiques à ceux des garçons, puisque liés à l’éducation civique. Mais certains enseignements peuvent être différents pour les garçons et les filles, en particulier ceux d’éducation physique et de travaux manuels. Il s’agit d’acquérir pour elles « les qualités sérieuses de la femme de ménage ».
Le combat pour résorber la division sexuée de l’école passait aussi par la mixité scolaire. Comment s’est-elle mise en place ? Était-ce une volonté délibérée de mélanger les élèves des deux sexes ?
« La mixité scolaire n’est pas un pur produit de mai 68. Elle a commencé à se mettre massivement en place dès le début des années 1960. »
Contrairement à ce que l’on entend souvent, la mixité scolaire n’est pas un pur produit de mai 68. Elle a commencé à se mettre massivement en place dès le début des années 1960. C’est un processus au long cours, qui commence par le primaire et qui, au début des années 1970, ne fait que s’achever.
Ce qui est remarquable c’est qu’on ne le fait pas pour des raisons idéologiques, puisque l’on n’a jamais tranché le débat entre les partisans de la « coéducation » et les tenants du statu quo, mais pour des motifs organisationnels et d’économies d’échelle. On a peut-être « gagné » des postes d’enseignant en fusionnant les classes, mais on a raté l’occasion d’un débat revisitant les fondements de notre école.
L’accès des femmes à un enseignement secondaire identique à celui des hommes, puis au supérieur, a conditionné leur essor professionnel et leur émancipation. Comment cela s’est-il fait ?
« Le taux de jeunes femmes parmi les inscrit·es à l’université, qui n’était que de 3 % en 1900, n’a cessé de croître : 10 % en 1914, 25 % en 1930, 45 % en 1970, 50 % en 1980 et à présent elles y sont largement majoritaires. »
Même sous un ministre aussi progressiste (pour son temps) que Jean Zay, l’éducation était encore extrêmement genrée. Aussi les femmes ont-elles dû « grignoter » progressivement ce qui leur était refusé. Par exemple, le taux de jeunes femmes parmi les inscrit·e·s à l’université, qui n’était que de 3 % en 1900, n’a cessé de croître : 10 % en 1914, 25 % en 1930, 45 % en 1970, 50 % en 1980 et à présent elles y sont largement majoritaires.
Toutefois, notamment parce que l’on n’a jamais réinterrogé un certain nombre de stéréotypes sexistes qui étaient à la base de notre système éducatif, cela s’est fait avec d’énormes disparités selon les disciplines. Si dans le domaine des lettres et des langues, les femmes représentaient déjà 33 % des étudiant·e·s en 1914, elles sont encore aujourd’hui très minoritaires dans les écoles d’ingénieur·e·s.
Comment a évolué la place faite aux femmes dans les programmes scolaires ?
« Dès qu’une enquête est faite sur le sujet, on est surpris du chemin qui reste à faire. »
On se soucie régulièrement et à raison de la place des femmes dans les manuels scolaires, notamment depuis les années 1980 et le ministre Alain Savary qui souhaitait que l’on fasse attention aux préjugés sexistes. Pour autant, les choses ne progressent que difficilement, et dès qu’une enquête est faite sur le sujet, on est surpris du chemin qui reste à faire. C’est sans doute le reflet de la division sexuée que l’on évoquait, qui continue d’exister dans certaines disciplines.
À l’heure où les combats féministes résonnent plus que jamais, comment renforcer via l’école la lutte contre les inégalités et les stéréotypes de genre ?
« À chaque fois que cette question a été posée, des groupes minoritaires, mais très structurés, comme la Manif pour tous, s’y sont opposés »
Il subsiste ce péché originel dont nous parlions, qui est de n’avoir jamais vraiment résolu la question du genre à l’école. Najat Vallaud-Belkacem et Vincent Peillon ont voulu s’y attaquer en essayant de déconstruire ces stéréotypes de genre, et cela dès la maternelle.
Pour autant, à chaque fois que cette question a été posée, des groupes minoritaires, mais très structurés, comme la Manif pour tous, s’y sont opposés. Même s’ils sont clivants pour une partie de la société, les mouvements féministes actuels permettent de remettre cette question au centre de l’agenda politique, de façon radicale. Et de s’intéresser enfin à ce qui relève de la nature et de la culture.
L’enseignement s’est largement féminisé depuis Jules Ferry : on entend parfois qu’un secteur qui se féminise est déconsidéré économiquement et socialement. Qu’en est-il aujourd’hui selon vous ?
« Jules Ferry, lui-même, qui portait les stéréotypes sexistes de son temps, considérait que les femmes avaient davantage les qualités d’empathie et de bienveillance nécessaires à cette tâche. »
Le métier d’enseignant est de longue date très féminisé, cela n’a pas tellement évolué depuis la fin de la IIIe République. Jules Ferry, lui-même, qui portait les stéréotypes sexistes de son temps, considérait que les femmes avaient davantage les qualités d’empathie et de bienveillance nécessaires à cette tâche, autant que le sens du dévouement qui allait avec la fonction.
Car c’est aussi cela la réalité du métier : les enseignants français sont mal rémunérés, en comparaison bien sûr à d’autres secteurs économiques, mais même par rapport à d’autres pays. En 1914, au moment où Charles Péguy évoque les « hussards noirs de la République », nous sommes déjà avant-derniers en Europe pour le niveau de rémunération de nos enseignants. Voilà une question qu’il faut trancher : le métier d’enseignant est-il une activité comme une autre, ou un sacerdoce qui demande des sacrifices ?
Comment a évolué historiquement la répartition femmes/hommes dans l’enseignement des principales disciplines ?
« Le taux de femmes enseignant les mathématiques a par exemple chuté de 52 % à 46 % entre 1989 et 2011 »
La part des enseignantes dans chaque discipline est logiquement le reflet des disparités que l’on observe dans le choix de cursus des étudiant·e·s. On évoquait plus haut que les femmes étaient devenues majoritaires dès l’après-guerre dans le domaine des lettres et des langues, mais ça n’est pas du tout vrai pour la philosophie, le droit ou les sciences dites « dures ».
Et ce qui est inquiétant, c’est que cette polarisation selon les disciplines perdure et même qu’elle s’est encore renforcée ces dernières décennies. Le taux de femmes enseignant les mathématiques a par exemple chuté de 52 % à 46 % entre 1989 et 2011. Idem pour la physique-chimie, où elles sont passées de 47 % à 42 %.
Y a-t-il dans les métiers de l’éducation, comme ailleurs dans notre société, un « plafond de verre » qui limite l’accès des femmes aux plus hautes fonctions ?
« Il y a nettement plus de directeurs que de directrices d’école, ou bien d’inspecteurs que d’inspectrices. »
Sans doute, car on observe toujours en tendance qu’il y a nettement plus de directeurs que de directrices d’école, ou bien d’inspecteurs que d’inspectrices, même si cela tend à se résorber.
Toutefois, il est intéressant de remarquer que lorsqu’il y a une vraie volonté politique, les choses peuvent bouger. C’est le cas pour la fonction la plus haute de nos académies, à savoir les recteurs et les rectrices, qui sont aujourd’hui pratiquement en nombre égal de chaque sexe. C’est un vrai progrès dont il faut s’inspirer ailleurs.
Quel rôle peut jouer la formation pour tendre vers plus d’égalité à l’école ? Quid des initiatives venues de l’économie sociale et solidaire (ESS) ?
« Il faut […] qu’il y ait des temps d’observation de classes et de comportements, pour mêler le terrain à la formation théorique. »
Il faut penser la formation des enseignants comme une vraie formation professionnelle où ces questions occupent la place qu’elles méritent. Qu’il y ait des temps d’observation de classes et de comportements, pour mêler le terrain à la formation théorique. Car on voit ensuite que, quand l’enseignant·e sort de l’éducation genrée et change sa façon de parler aux élèves ou de leur assigner les tâches, cela a un impact sur la société. Mais cela demande une vraie volonté politique.