Nos podcasts
Nos chats live
L'ASL en Direct
Articles les plus partagés
Entretien avec une ergonome Sorties scolaires : comment mieux prévenir les risques ?Comment gérer les comportements perturbateurs en crèche ? Entretien avec Mme Hurtig, puéricultrice et formatrice
Elle fait partie d’un des groupes de travail chargé par le ministère de l’Éducation nationale d’élaborer un référentiel qualité d’accueil du jeune enfant, actuellement diffusé et testé auprès des professionnels de la petite enfance.
Forte de 40 années d’expérience, Marie-Hélène Hurtig nous livre son regard éclairé sur les comportements perturbateurs en crèche.
Quels sont les principaux comportements perturbateurs rencontrés chez le petit enfant en crèche ?
« Ces comportements difficiles perturbent les adultes dans le sens où ils peuvent les inquiéter, les interroger, voire générer des problèmes dans le travail et son organisation. »
Ce mot « perturbateur » m’a beaucoup interrogée, l’objectif d’un tout petit n’est jamais de perturber. Je préfère parler de comportements « difficiles à gérer » pour les adultes ou pour les autres enfants. Le petit enfant exprime ses besoins ou ses difficultés sans les mots, principalement avec un comportement corporel. Il peut s’agir d’un tout petit bébé qui pleure toute la journée, d’un enfant qui ne dort pas ou n’arrive pas à trouver son sommeil. Ces comportements difficiles perturbent les adultes dans le sens où ils peuvent les inquiéter, les interroger, voire générer des problèmes dans le travail et son organisation. Les enfants qui ne vont pas bien, quel que soit leur âge, peuvent exprimer leur mal-être par des pleurs incessants, des difficultés à manger, à dormir ou même à jouer. D’autre part, très souvent, quand on parle de « comportements perturbateurs », on pense à l’enfant qui transgresse les règles, mord ou tape les autres ou encore ne tient pas en place. Il peut y avoir des enfants très « moteurs » qui ont beaucoup besoin de bouger et vont grimper partout, sauter, ou encore qui n’arrivent pas à rester assis à table durant le repas…Tous ces comportements peuvent être perçus comme difficiles. Pourtant, souvent l’espace de vie et l’organisation répondent à des besoins de « grands », comme une sorte de pré-école maternelle, mais pas aux besoins des enfants très moteurs. Par exemple, 30 minutes à table, c’est très long et, à cet âge-là, physiologiquement difficile. Ces comportements sont perçus comme perturbateurs pour les adultes, alors qu’ils sont des expressions de besoins physiologiques ou liés à l’immaturité du développement, et sont finalement tout à fait ordinaires. Ainsi, les enfants de moins de 2 ou 3 ans n’ont pas intégré les règles comportementales. Or, pour les intégrer, ils ont aussi besoin de tester les limites ou les interdits posés par les adultes. Ce comportement peut être ressenti comme perturbateur, parce qu’il peut être très fatigant, mais il est surtout perturbant quand les adultes n’ont pas compris ce qu’était en train de faire l’enfant.
Autres comportements difficiles dans les crèches, ceux des enfants qui mordent ou tapent, entrainant des conflits avec les autres enfants. Les comportements dits « agressifs » rencontrent souvent l’incompréhension des adultes ou une difficulté à les gérer. Le manque de formation et d’information génère des malentendus et des incompréhensions. À cet âge-là, l’agressivité est « naturelle ». Les enfants n’ont pas encore la conscience d’eux-mêmes et des autres, n’ont pas encore les codes pour entrer en relation. Très souvent, l’agressivité est un appel à entrer en relation. Si l’un est en train de jouer avec une voiture, ce qu’il fait intéresse un autre, mais comme il ne sait pas encore jouer avec lui, ce dernier va lui prendre sa voiture. C’est normal qu’un enfant de moins de 3 ans ne sache pas partager, il est très égocentré parce qu’il n’a pas encore fini de se construire et d’avoir vraiment conscience de sa différenciation entre lui et les autres. Et ce processus ne se termine qu’entre 2 ans et demi et 3 ans et demi. Il y a là-dessus un gros malentendu. Des adultes peuvent y voir une intention négative de l’enfant alors qu’il apprend à rentrer en relation.
On retrouve aussi dans les crèches des enfants ayant des comportements difficiles et perturbants pour les adultes car ces enfants sont en situation de handicap ou présentent des troubles du comportements diagnostiqués ou pas. Leurs comportements peuvent être totalement inattendus, incompris et générer une grande inquiétude et des difficultés. Un enfant qui a des troubles neuro-développementaux peut être agressif, car ces enfants sont dans une grande difficulté à entrer en relation. Ou alors ils peuvent être très centrés sur eux-mêmes, se balançant. Ils sont perturbateurs pour les adultes qui n’arrivent pas à les décoder.
Y avez-vous été confrontée dans l’exercice de votre métier ?
« Quand on travaille en crèche, et même maintenant en tant que formatrice, les enfants “difficiles”, c’est le quotidien. »
Quand on travaille en crèche, et même maintenant en tant que formatrice, les enfants « difficiles », c’est le quotidien, quelle que soit la difficulté : comportements agressifs, pleurs incessants, transgression des limites…
J’ai aussi accueilli des enfants en situation de handicap. Certains étaient diagnostiqués, d’autres non. On effectue alors un travail d’accompagnement au diagnostic. Aujourd’hui, en tant que formatrice, j’accompagne des équipes qui sont confrontées à toutes ces situations finalement très habituelles en crèche.
Quels conséquences peuvent avoir ces comportements sur la puéricultrice ou l’éducateur de jeunes enfants (EJE) ?
« La première, c’est la fatigue avec le risque d’épuisement professionnel, parce que les enfants à comportements difficiles demandent beaucoup plus d’attention et ont besoin de plus d’accompagnement. »
La première, c’est la fatigue avec le risque d’épuisement professionnel, parce que les enfants à comportements difficiles demandent beaucoup plus d’attention et ont besoin de plus d’accompagnement. Ensuite, le sentiment d’échec, qu’on retrouve d’autant plus dans le cas de relation avec les enfants en situation de handicap. Il faut tout le temps répéter, refaire. On ne « gagne » pas immédiatement, et ce, même s’il y a des progrès. Cela génère des conséquences qui peuvent s’apparenter au burn-out : « Qu’est-ce que je fais ? À quoi ça sert ? Je suis épuisée, ça ne marche pas, je n’y arrive pas. ». La longueur du démarrage de la prise en charge joue beaucoup. Parfois, entre le temps où l’équipe, l’EJE ou la puéricultrice ont eu des doutes et le temps où il y a une prise en charge, les délais sont très longs, parce que les parcours sont longs, et aussi que parfois les parents sont dans le déni, et c’est normal, cela fait partie du processus. Donc, les personnels sont épuisés. Bien sûr, il peut arriver aussi qu’il y ait des comportements agressifs engendrant des coups, des griffures ou des morsures, mais cela reste rare, et ce n’est généralement pas vécu de façon dramatique. Je rencontre plus souvent des personnels épuisés, qui ont le sentiment de pas avoir suffisamment de moyens pour travailler, parce qu’ils ne sont pas assez nombreux ou ne se sentent pas assez nombreux.
Comment réagir face à̀ des comportements perturbateurs ? En quoi la puéricultrice en crèche peut-elle avoir un impact sur les comportements de l’enfant ?
« 25 % des enfants entre 17 et 30 mois mordent régulièrement, 70 % recourent à l’agression physique. On ne peut pas parler de comportements perturbateurs si ces comportements sont aussi répandus . »
Il faut avant tout comprendre ces comportements pour bien les accompagner. Bien entendu, il ne s’agit pas de dire aux enfants : « Tu as raison de taper sur Paul pour prendre sa voiture », mais de l’accompagner. Dans le cas de la petite voiture, proposer une voiture identique à l’enfant pour l’aider à jouer avec l’autre enfant. En fait, au départ, le partage se fait dans l’imitation, et on sait que cela fait beaucoup baisser le niveau d’agressivité.
Concernant les morsures, elles sont là aussi liées au développement de l’enfant. Le langage n’est pas acquis. Or, la morsure passe par la bouche. Très souvent, à partir du moment où les enfants ont acquis le langage, ils mordent beaucoup moins. 25 % des enfants entre 17 et 30 mois mordent régulièrement, 70 % recourent à l’agression physique[1]. On ne peut pas parler de comportements perturbateurs si ces comportements sont aussi répandus.
C’est aux adultes de faire en sorte de ne pas coller une étiquette à l’enfant. Plus on le juge comme agressif ou mordeur, plus on va l’enfermer dans ce comportement, et il va continuer à fonctionner comme ça. Notre rôle est de l’aider à trouver des solutions pour pouvoir défendre son territoire, entrer en relation avec les autres, sans passer par l’agression.
Les comportements difficiles, qu’il s’agisse de comportements agressifs, pleurs, etc. sont souvent un appel aux adultes. Ces enfants peuvent nous dire de cette manière-là : « Je ne vais pas bien, j’ai besoin qu’on s’occupe de moi. » Et le vivre comme de la provocation ou vouloir les faire rentrer dans le rang est une erreur de l’adulte. La grosse difficulté en crèche, c’est le manque de formation des adultes qui vont interpréter des comportements d’enfants à l’aune de leurs propres projections. Or, on sait maintenant avec les neurosciences que les enfants de moins de 3 ans, pour intégrer les règles, les interdits, ont besoin que ces interdits soient répétés. D’autre part, une fois dans l’action, ils ne sont pas encore capables d’arrêter un geste qu’il s’agisse de taper, de mordre, de prendre une petite voiture au camarade, mais aussi de courir, grimper… C’est une question de maturité cérébrale. Donc, si l’adulte le vit comme une provocation, cela va générer un rapport de force qui risque de ne pas être constructif pour l’enfant et être épuisant pour l’adulte. Le rôle de l’adulte est bien sûr d’arrêter l’enfant dans son geste et de lui rappeler la règle avec calme, tranquillité et fermeté. Il ne s’agit pas de laisser faire, mais de ne pas installer un rapport de force conflictuel. Punir un enfant de cet âge, lui demander de réfléchir à ce qu’il a fait, ça n’a aucun sens, il n’en est pas capable. S’il est submergé par ses émotions, il est préconisé de ne pas le laisser seul dans un coin, mais de l’aider à réguler sa « tempête émotionnelle ». Donc, ça peut être intéressant de partir avec lui dans une pièce plus tranquille pour éviter d’être dans l’agitation et de l’aider à retrouver du calme. Pour les enfants « moteurs », il suffit souvent d’aménager l’espace et l’organisation de la journée de manière que les enfants puissent bouger, grimper quand ils le souhaitent.
Pour travailler toutes ces postures de l’adulte, la formation et l’accompagnement sont essentiels. Ce qui aide beaucoup les professionnels, c’est l’APP, l’analyse de pratiques professionnelles, obligatoire dans les crèches depuis deux ans, six heures par an. C’est trop peu, mais il y a quand même énormément de structures qui pratiquent deux heures par mois ou deux heures toutes les six semaines. Des psychologues, ou éventuellement des formateurs, interviennent et accompagnent les émotions des adultes. S’occuper d’enfants de moins de 3 ans, et en particulier d’enfants qui ont justement des comportements jugés difficiles, génère des émotions très fortes chez les adultes. Et ces émotions, il faut les aider à les réguler pour qu’à leur tour les personnels puissent aider les enfants.
Quand est-il opportun ou nécessaire d’en parler avec les parents de l’enfant ? Comment aborder la situation et éviter les conflits que ce sujet délicat peut engendrer ?
« Le secret, c’est la confiance instaurée dès le début de la relation avec les parents. »
En fait, si l’enfant semble présenter des troubles du comportement, cela nécessite beaucoup de délicatesse, évidemment. Il faut savoir que la crèche ne fait jamais un diagnostic. Mais elle peut amener la famille à consulter. Le secret, c’est la confiance instaurée dès le début de la relation avec les parents. Des relations de qualité entre la famille et la crèche faciliteront le fait d’aborder des sujets difficiles en s’appuyant sur les observations factuelles. Le mieux est de proposer un rendez-vous avec le parent et le personnel avec lequel il se sent en confiance. C’est aussi le rôle du référent santé accueil inclusif (RSAI), qui est de formation puéricultrice, médecin, ou éventuellement infirmière.
Dans l’entretien, bien sûr, le respect et la bienveillance sont prioritaires ! On peut respecter le déni d’un parent face au trouble du comportement de son enfant. C’est aussi une question de formation. Le déni fait partie du processus et il peut être plus ou moins long en fonction de chaque famille, tout comme un processus de deuil. Et toujours positiver : un enfant, même s’il est en situation de handicap, a plein de potentialités.
Le dépistage des comportements perturbateurs est en première ligne chez les enfants d’âge préscolaire. Comment faire la différence entre un comportement ordinaire et un comportement extraordinaire ?
« En cas de suspicion de TND (troubles du neuro-développement), la seule solution est de faire de l’observation, de s’entourer. »
Toute la difficulté est de faire la différence entre un comportement ordinaire et un comportement extraordinaire. Quelle différence entre un enfant qui sera peut-être diagnostiqué un jour TDAH (trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité) et un enfant moteur qui ne parvient pas à se poser ? C’est très difficile, même pour les médecins. Et, encore une fois, le rôle de la crèche n’est pas de poser un diagnostic. Souvent les diagnostics ne se font pas avant 3 ans. Avant 3 ans, aujourd’hui, il est préconisé d’orienter vers des consultations spécialisées autour de troubles du neuro-développement (TND) dont les troubles du spectre autistique et le TDAH font partie. En cas de suspicion de TND, la seule solution est de faire de l’observation, de s’entourer. Les personnes ressources, comme les référents santé et accueil inclusif (RSAI), sont depuis trois ans obligatoirement présentes dans les structures, et elles vont pouvoir faire de l’observation, discuter avec les équipes. Et si besoin avec les parents, pour pouvoir comparer et mettre en commun des observations dans le milieu familial et des observations à l’intérieur du collectif, leur conseiller de consulter pour pouvoir effectivement commencer un parcours éventuel de diagnostic et de prise en charge si cela s’avère nécessaire. Mais ne jamais faire l’économie de se poser la question : « Est-ce que notre collectif correspond aux besoins des enfants ? » Et avancer, à pas de fourmis, tout en ne faisant pas l’autruche. Une espèce de compromis très complexe.
Pour le coup, ce qui perturbe beaucoup les adultes dans les crèches, c’est tout autant de risquer de passer à côté d’un diagnostic, et donc d’une prise en charge thérapeutique très utile, que d’étiqueter des enfants à tort. Même les médecins sont dans cette difficulté !
Les puéricultrices et EJE bénéficient-elles d’une formation sur le sujet ? Pensez-vous qu’elle est suffisante ?
« Souvent, les professionnelles disent qu’elles ne sont pas suffisamment formées. Surtout pour l’accueil d’un enfant en situation de handicap. »
Souvent, les professionnelles disent qu’elles ne sont pas suffisamment formées. Surtout pour l’accueil d’un enfant en situation de handicap. Il y a beaucoup de propositions en formation continue. Sur la question du handicap, mon premier travail à faire est de déconstruire les préjugés, les représentations. Déconstruire le regard sur le handicap, travailler la question de la peur et bien clarifier le rôle des professionnels. Les professionnels de la petite enfance sont là pour accueillir un enfant extraordinaire dans un milieu ordinaire. Pas pour soigner l’enfant, ni pour le réparer, ni le faire progresser à tout prix. Ça c’est le rôle des thérapeutes.
Le rôle de la crèche va aussi être d’offrir un temps de répit aux parents d’enfants en situation de handicap. Le temps par exemple de reprendre des forces, de s’occuper de la fratrie, du temps pour aller travailler… Aider la famille, c’est aussi aider l’enfant.
Que ce soit sur l’accueil des enfants en situation de handicap ou la gestion des enfants aux comportements difficiles, il y a encore un très gros travail de formation initiale et de formation continue à faire pour que les professionnelles puissent être accompagnées dans la gestion de leurs émotions et leurs difficultés, mais aussi qu’elles puissent réfléchir à elles-mêmes, à leur type de réponse ou de prise en charge pour pouvoir être plus efficaces.
Le rôle des professionnels de la petite enfance n’est pas d’être des thérapeutes, des soignants, des kinésithérapeutes, psychomotriciens, orthophonistes et psychologues. Mais de tenir compte des besoins des enfants, de réfléchir à comment les inclure au groupe, d’ajuster les règles et les modes de fonctionnement à chaque enfant de manière individualisée. En apprenant à travailler de manière plus singulière, les structures s’habituent à être moins dans une gestion du collectif, et de ce fait cela a un impact vertueux et améliore souvent la qualité de l’accueil pour l’ensemble des enfants.
Je pense que le maître mot de tout ce que j’ai dit, c’est le malentendu. Je vois beaucoup de jugements plaqués sur les enfants à comportements difficiles voire sur les parents et ce qui se passe à la maison. Peut-être que parfois c’est vrai, il se passe quelque chose à la maison qui explique un comportement difficile, mais parfois ce n’est pas le cas, et j’ai envie de dire peu importe. Cet enfant-là à l’instant T avec nous, il est comme il est, qu’est-ce qu’on va faire pour l’aider ici et maintenant ? C’est tout ce qui importe.
[1] Source pré référentiel de qualité d’accueil p. 33