À quels types de comportements perturbateurs ou de problèmes pouvez-vous être confrontée dans l’exercice de votre métier d’éducatrice en IME ?

« Quand un enfant insulte, le plus souvent, il manifeste un mécontentement, un malaise, ou c’est un moyen de faire un appel tout simplement : il veut qu’on s’intéresse à lui. »

En IME (institut médico-éducatif), les comportements perturbateurs peuvent se manifester par de la violence physique : tirage de cheveux, griffures, morsures, les coups, le fait d’être poussé… Ils mènent parfois à des accidents de travail. L’année dernière, par exemple, un jeune garçon, qui était scolarisé en école ordinaire et présentait un comportement très violent envers la professeure des écoles et les autres enfants, a été déscolarisé du jour au lendemain, avec un placement d’urgence chez nous. Il est arrivé en plein milieu d’année. C’est compliqué pour nous de faire une adaptation dans ces conditions-là. Il arrive, il ne connaît personne, n’est pas verbal, donc dans l’impossibilité de dire ce qui l’inquiète. Le premier jour, j’ai voulu l’emmener avec moi d’un point A à un point B, mais il ne voulait pas, j’ai été violemment agressée. Il m’a fêlé la mâchoire, j’ai eu une entorse du poignet, une autre de la cheville, quatre semaines d’ITT (incapacité temporaire de travail). Ce petit garçon a 8 ans. Heureusement, ce type de violences reste rare, mais il existe.

Ensuite, et c’est le plus fréquent, il y a la violence verbale, les insultes. Par exemple, nous accueillons un jeune garçon de 9 ans et demi, qui chez lui est confronté à de la violence verbale, ici, plutôt que de nous appeler gentiment par nos prénoms, il nous appelle par des insultes en « asse », cela fait partie de son langage, son mode de fonctionnement. Avec l’ancienneté, je prends les choses assez simplement, je fais le rappel au règlement quand je me fais insulter, mais je passe assez facilement à autre chose. Il faut prendre de la distance, ne pas le prendre personnellement, sinon on ne tient pas. Quand un enfant insulte, le plus souvent, il manifeste un mécontentement, un malaise, ou c’est un moyen de faire un appel tout simplement : il veut qu’on s’intéresse à lui.

Enfin, il y a aussi les comportements de sidération. Il s’agit par exemple d’enfants qui vont rester assis et ne vont pas se sentir à leur place. C’est très difficile d’entrer en relation avec ces enfants-là, ils ne veulent rien faire, ne veulent pas participer à une sortie. Cela peut être très compliqué à gérer, en tout cas en groupe. Les enfants qui arrivent chez nous n’ont pas forcément des troubles diagnostiqués. Nous avons une section dédiée à ceux présentant des troubles autistiques. Pour eux, un diagnostic d’autisme a été posé, avec déficience intellectuelle. Dans notre établissement, nous ne gérons que l’autisme sévère. Nous accueillons aujourd’hui 9 enfants diagnostiqués TSA (trouble du spectre de l’autisme). Les 39 autres enfants accueillis ont tous reçu des diagnostics de déficience intellectuelle, c’est-à-dire qu’ils ont moins de 70 de QI. Ils sont là parce qu’ils ont du mal à sociabiliser et n’ont pas le niveau scolaire adapté à leur âge. Cette déficience est souvent associée à des troubles du comportement. Et même quand ils ne présentent pas de trouble du comportement, le fait d’être en décalage complet avec les enfants de leur âge fait qu’ils ne sont pas à leur place en milieu ordinaire. Il faut comprendre que tous les enfants en situation de handicap ne sont pas faits pour être scolarisés en milieu ordinaire. C’est vraiment la grande ligne que l’État devrait avoir en tête. Parce que l’inclusion à tout prix ne fonctionne pas pour tout le monde. Elle donne des personnels qui peuvent être épuisés, des enfants qui ne sont pas heureux. Un exemple : un petit garçon vient d’être admis dans notre IME après trois ans de scolarisation extrêmement difficile. Il présente des comportements violents, et sa maman s’est retrouvée à faire de l’éducation à domicile pendant presque deux ans, faute de place en IME. L’arrivée a été ressentie par lui comme un changement brutal. On ne peut pas se plaindre d’avoir des comportements violents avec des enfants qui ont été complètement lâchés par l’Éducation nationale, et qui arrivent chez nous après deux ans d’errance. Ce sont des enfants qui ont souvent été harcelés à l’école parce que différents, à qui on demande de s’adapter à un niveau scolaire qu’ils n’ont pas. Récemment, un adolescent de 15 ans est arrivé dans notre IME, il était en collège ordinaire, alors que les évaluations que nous avons faites lui donnent un niveau CP. Comment aurait-il pu s’adapter au collège ? Je comprends le malaise de cet adolescent : il a commis des actes de violence au collège, mais c’était en réaction, il était en souffrance et absolument pas à sa place. Il est resté douze ans dans notre système classique !

Comment gérer les différents comportements perturbateurs ? Quelles sont les pratiques et les modalités organisationnelles qui permettent de mieux prévenir et gérer ces situations ?

« Nous sommes formés à gérer tous ces comportements. Nous bénéficions de formations en gestion du risque et de l’agressivité, à peu près tous les trois ans. »

Tous ces comportements peuvent avoir un impact direct, physiquement, mentalement. Heureusement, nous sommes rarement confrontés à des comportements violents physiquement, et quand ils se produisent, ils n’émanent généralement pas des élèves les plus âgés, qui sont souvent arrivés plus jeunes et se sont apaisés entre-temps. Avec les élèves plus âgés, nous sommes confrontés à des violences verbales, ce qui est aussi lié à leur âge, ce sont des ados. On a beaucoup plus de violences physiques chez les petits, quand ils arrivent, parce rien n’a encore été mis en place pour les accompagner. Avec un petit entre 7 et 10 ans, la violence physique est encore à peu près gérable. C’est après, vers 12-13 ans, que c’est plus compliqué, car ils peuvent être grands et costauds. Moi, je suis toute petite en plus, mais nous ne sommes jamais seuls avec ces enfants. Et nous avons la chance d’être une équipe extrêmement soudée de quatorze éducateurs qui peuvent constamment passer le relais quand l’un d’entre nous est vraiment en difficulté avec un enfant. Cela permet à celui qui est à bout de prendre du recul. On connaît aussi nos jeunes, on sait avec lesquels on peut se retrouver seul et ceux avec lesquels on ne peut pas. Avec les moins de 14 ans, nous sommes constamment deux, voire trois, parce qu’on ne sait jamais ce qui peut arriver. Notamment avec les enfants autistes, un rien peut déclencher une crise, un changement de luminosité, un bruit… Par exemple, je m’occupe d’un enfant sur le groupe des TSA scolarisés en classe. Eh bien, j’ai changé de lunettes un samedi, et le lundi, c’était impossible que je le prenne. Pour lui, je n’étais plus la même, il a fallu que je montre une photo de moi avant, avec les autres lunettes, une photo sans lunettes, puis une photo avec mes nouvelles lunettes pour qu’il comprenne le cheminement et que je puisse à nouveau m’occuper de lui. Ce n’était pas un problème de violence, mais un comportement de retrait. Il ne sait pas parler, donc il m’a juste repoussée. Avec les autres enfants, il suffit d’un petit souci à la maison ou de l’absence d’un copain ou d’un éducateur pour que cette perturbation entraine des comportements problématiques.

Mais nous sommes formés à gérer tous ces comportements. Nous bénéficions de formations en gestion du risque et de l’agressivité, à peu près tous les trois ans. Nous apprenons ce qu’il faut observer chez le jeune pour anticiper la crise, avant que le conflit ne dérape. C’est un peu comme un gobelet en plastique qu’on ne cesserait de remplir d’eau. Nous, en tant qu’éducateurs, apprenons à faire des petits trous pour que l’eau s’écoule avant que le verre ne déborde. On apprend à gérer la montée des émotions de l’enfant et à désamorcer le conflit avant qu’il n’arrive. Et donc, on les fait travailler sur les émotions, on leur apprend à reconnaître leurs émotions, celles des autres, mais aussi à reconnaître quand l’émotion change et comment la gérer. Nous utilisons aussi des outils de communication alternative qui permettent aux jeunes de montrer sur des échelles qui vont du vert au rouge où ils se situent émotionnellement. Cela permet de nous dire : « Écoute, là j’arrive dans l’orange, il faut que tu m’aides à redescendre dans le vert » quand ils ont la capacité de le faire. Ils ont également à disposition des caisses dans lesquelles ils peuvent retrouver des objets qui leur permettent seuls un retour au calme. Par exemple, un doudou, un pop it, un coussin pour crier dedans… D’autres savent s’isoler. Tout cela, nous l’apprenons par l’observation, avec le temps. Nous avons des grilles d’observation, et quand l’une du binôme d’éducatrices fait l’activité avec l’enfant, l’autre observe. Et nous possédons aussi des grilles d’évaluation sensorielle qui nous permettent de savoir quel jeune va être plus sensible à des changements de luminosité, de bruit. Certains enfants peuvent entrer en crise parce qu’il y a du bruit. Ces enfants-là ont été testés, donc on connaît les risques, et on leur présente des casques anti-bruit qui permettent quand le volume sonore augmente de s’isoler un petit peu. Ils peuvent ainsi rester dans le groupe. Ce sont des apprentissages au fil du temps, et finalement, c’est plus un travail de prévention des crises que de gestion.  Sur 47 enfants, seuls trois aujourd’hui présentent encore des troubles du comportement assez sévères. Et sur les 3, 2 sont non verbaux. Avec les enfants qui n’ont pas accès au verbal, donc à la communication, c’est plus compliqué de pouvoir gérer les troubles du comportement. D’autres vivent de grosses difficultés sociales et familiales. C’est le cas d’un des enfants, il n’a que 11 ans, mais fait déjà 1m70, 80 kilos. Dès qu’il y a quelque chose qui évoque en lui un souvenir de ce qu’il a vécu, cela déclenche un comportement difficile. Avec lui, on est extrêmement vigilants. Quand il me dit : « Attache tes cheveux », je m’exécute parce que je sais qu’il peut les arracher.


Au niveau organisationnel, nous mettons en place des procédures pour chaque enfant, tout est individualisé.
Cela passe par l’observation au quotidien, surtout qu’un comportement peut changer d’un mois à l’autre ou d’une année à l’autre. Quand ils sont petits, le doudou peut bien aider au retour au calme. Mais vers 15 ou 16 ans, quand les autres enfants vont commencer à se moquer du doudou, il faut essayer de trouver autre chose. Avec les enfants verbaux, cela passe par le dialogue. Et chaque année, nous remplissons des grilles d’évaluation des besoins, ce qui nous permet de trianguler avec la famille ou le jeune lui-même, et de vraiment poser un état à l’instant T, de voir s’il y a des choses à faire évoluer.

Nous travaillons en équipe pluridisciplinaire, et chaque mercredi, nous nous réunissons pour échanger sur les jeunes que nous suivons, parler des problèmes rencontrés. Récemment, un enfant est revenu de vacances dans un état difficile, sa maman ayant décidé seule d’arrêter son traitement médical. Il manifeste de la violence, avec beaucoup de frustration, des cris, des larmes. On sent chez lui un mal-être terrible qui peut mener à des comportements très difficiles à gérer. Nous en avons longuement parlé en équipe, avec les quatorze éducateurs, les deux psychomotriciennes, la neuropsychologue, la cheffe de service, le directeur et une personne des services généraux. Cet échange pluridisciplinaire nous a permis d’échanger sur l’enfant, son mode de fonctionnement. Nous rencontrons aussi les familles très régulièrement pour comparer ce qui se passe à la maison avec ici. Ce qui permet de mettre en place des solutions avec retours d’expériences, pour que cela se passe mieux. C’est vraiment un travail d’équipe, et le parent fait partie de l’équipe.

Le caractère récurrent des comportements perturbateurs peut placer les professionnels face à des difficultés relationnelles et émotionnelles. Quelles solutions pour soutenir les éducateurs ?

« Quand on n’en peut plus, qu’on a besoin de parler, nous pouvons faire appel aux deux neuropsychologues qui sont présentes pour les jeunes, mais aussi pour nous. »

Un éducateur n’est jamais toute une journée avec le même enfant. Les séquences sont d’une heure et demie. En plus, nous travaillons de façon complètement transversale. Moi, par exemple, je m’occupe du groupe des 16-21 ans, mais à longueur de journée, je travaille dans la classe donc avec les petits.

Je vois mon groupe de rattachement le matin quand les enfants arrivent pour faire l’accueil, le midi à la cantine et le soir pour faire un point sur la journée. Mais au cours de la journée, nous travaillons tous avec tout le monde. Je peux être avec un groupe d’enfants de 8 à 11 ans le matin jusqu’à 10 h 30, ensuite avoir des 12-15, et puis passer l’après-midi avec les grands par exemple. Cela permet d’être moins fatigué. Car vous passez régulièrement le relais. C’est possible parce l’équipe est pluridisciplinaire, c’est une politique d’établissement. Ce n’est pas pareil partout. Nous avons travaillé cette transversalité dans le projet d’établissement en comité de pilotage avec les familles et tous les membres de l’équipe, de la femme de ménage au directeur. Et on constate que ce mode fonctionne pour nous et nos jeunes.

Même au niveau des comportements violents, on sait quels jeunes peuvent être violents et donc ces jeunes-là ne sont jamais avec les mêmes personnes sur deux sections de suite.

De notre côté, quand on n’en peut plus, qu’on a besoin de parler, nous pouvons faire appel aux deux neuropsychologues qui sont présentes pour les jeunes, mais aussi pour nous. Elles peuvent nous écouter et nous prodiguer des conseils pour nous aider à mieux réagir. Le pédopsychiatre est lui aussi très à l’écoute. Nous avons aussi une référente santé des salariés, qui est une ancienne infirmière, on ne la voit pas souvent, mais on peut la contacter par mail si on a besoin de discuter avec une personne extérieure. Elle est spécialisée dans les TSA et peut souvent nous éclairer quand on fait face à des situations complexes avec nos enfants présentant des troubles autistiques.

Nous sommes aussi en relation avec une association où chaque mois, pendant 2 h 30, nous exposons tout d’une situation de A à Z, du début du comportement à risque jusqu’à notre intervention, et là nous analysons les réactions de chacun. Notre intervenante vient tous les mercredis après-midi, et nous passons par groupe de six ou sept. L’intervenante ne nous connaît pas, ne connaît pas les enfants, et elle a un parcours éducatif. Les intervenants sont souvent soit des psychologues, soit des éducatrices/éducateurs spécialisés ou des anciens chefs de service. Ce sont des personnes qui ont une grande expérience des établissements. Avec cette intervenante, l’analyse de pratiques professionnelles se passe très bien. C’est indispensable, un regard extérieur pour faire évoluer les pratiques.