Le Défenseur des droits a été saisi par une animatrice territoriale mise à disposition d’une association, en raison de faits de harcèlement sexuel qu’elle disait avoir subis de la part du président de l’association. Elle dénonçait par ailleurs, l’absence de mesures de prévention et de protection de la part de la commune, dont l’inaction aurait aggravé son état de santé et ses préjudices. Retour sur la décision n°2023-034 du 15 mars 2023 par Me Florence LEC, avocat conseil national de L’ASL.

La décision n° 2023-034 rendue le 15 mars 2023 permet de mieux appréhender le périmètre et l’étendue de la protection qui doit être déployée par une commune dans des situations de harcèlement sexuel et de consacrer le rôle protecteur et de vigie du Défenseur des droits au bénéfice des agents de la fonction publique territoriale.

Rappel des faits et de la procédure

“ La protection fonctionnelle qui lui avait été accordée par la commune, lui a été retirée à la suite du classement de sa plainte pour le motif d’infraction insuffisamment caractérisée. ”

Mme X, animatrice territoriale mise à disposition d’une association par la commune de Y, alléguait avoir subi des faits de harcèlement sexuel de la part du président de l’association entre 2014 et 2017, ainsi qu’une agression verbale en 2020.

La plaignante dénonçait de la part du président de l’association des gestes répétés à connotation sexuelle, comme des bises proches des lèvres, des mains posées sur les hanches, sa poitrine, ses cuisses ainsi que des propositions sexuelles.

Par suite de ces faits, la réclamante avait demandé la reconnaissance de l’imputabilité au service, ce que lui a refusé dans un premier temps la commune. L’agent a été maintenue en arrêt de travail jusqu’à son placement en disponibilité pour convenance personnelle.

Elle a décidé de saisir le tribunal administratif et a porté plainte pour harcèlement sexuel et moral. La protection fonctionnelle qui lui avait été accordée par la commune, lui a été retirée à la suite du classement de sa plainte pour le motif d’infraction insuffisamment caractérisée.

C’est dans ces conditions, considérant que la commune a manqué à son obligation de protection en matière de harcèlement sexuel qu’elle a alors saisi le Défenseur des droits.

La saisine du Défenseur des droits et ses recommandations

“ (...) Le Défenseur des droits a estimé que les témoignages recueillis et les éléments du dossier établissaient suffisamment la matérialité des agissements et a reconnu que les faits subis par la réclamante relevaient du harcèlement sexuel. ”

Le Défenseur des droits est une autorité administrative indépendante instituée par la loi organique du 29 mars 2011

Ses principales missions sont les suivantes :

 

  • Défendre les droits et libertés dans le cadre des relations avec les administrations ;
  • Défendre et promouvoir l’intérêt supérieur et les droits de l’enfant ;
  • Lutter contre les discriminations et promouvoir l’égalité ;
  • Veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité ;
  • Orienter et protéger les lanceurs d’alerte.

 

Le Défenseur des droits dispose de plusieurs pouvoirs pour accomplir ses missions :

 

  • Mener des enquêtes ;
  • Demander des explications à toute personne physique ou morale mise en cause ;
  • Faire des recommandations pour résoudre les situations dont il est saisi ;
  • Proposer un règlement à l’amiable pour régler certains différends ;
  • Saisir l’autorité disciplinaire pour lui demander d’engager des poursuites contre un agent
  • Présenter des observations devant les juridictions ;
  • Faire des propositions de réformes de textes législatifs et réglementaires, à son initiative ou lorsqu’il est sollicité par les parlementaires.

En l’espèce, la plaignante a saisi le Défenseur des droits au titre de sa mission de lutte contre les discriminations et de promotion de l’égalité.

Dans le cadre de l’article 33 de la loi du 29 mars 2011, une instruction a été engagée auprès de l’association et de la commune, ce qui a donné lieu à la transmission et la communication de pièces et d’explications par la commune et l’association aux services du Défenseur des Droits. Ces derniers ont par ailleurs procédé aux auditions de la directrice de l’association et de la directrice générale des services de la commune.

À la suite de cette instruction, le Défenseur des droits a estimé que les témoignages recueillis et les éléments du dossier établissaient suffisamment la matérialité des agissements et a reconnu que les faits subis par la réclamante relevaient du harcèlement sexuel.

Face à la dénonciation de ces faits par la réclamante, le Défenseur des droits a en outre considéré que la commune et l’association n’ont pas satisfait à leur obligation de sécurité en matière de prévention et de protection contre le harcèlement sexuel et sexiste.

En conséquence, dans le cadre de l’article 25 de la loi du 29 mars 2011, le Défenseur a recommandé à la commune de :

Les apports de cette décision : le renforcement de la protection des agents publics territoriaux mis à disposition

“ (...) La protection fonctionnelle doit être accordée indépendamment des suites judiciaires. ”

Cette décision du Défenseur des droits apporte plusieurs éclairages importants concernant la protection fonctionnelle des agents publics territoriaux mis à disposition dans d’autres structures, comme une association :

L’accord de la protection fonctionnelle indépendamment des suites judiciaires

La réclamante avait bénéficié à sa demande de la protection fonctionnelle. Toutefois, celle-ci lui fut retirée par décision de la commune à la suite du classement de sa plainte pour « infraction insuffisamment caractérisée ».

Or, cette décision n’était pas une mesure appropriée selon le Défenseur des droits qui rappelle tout d’abord la jurisprudence du conseil d’État qui précise que la seule intervention d’une décision juridictionnelle non définitive ne retenant pas la qualification de harcèlement ne suffit pas, par elle-même, à justifier qu’il soit mis fin à la protection fonctionnelle (CE 1er octobre 2018, N°412897).

En outre, comme le relève la décision, au regard des éléments du dossier, le classement repose sur le principe d’opportunité des poursuites et non de la fausseté des faits dénoncés ou de la remise en cause de la matérialité des faits dénoncés.

En conséquence, le Défenseur des droits recommande à la commune de ne pas subordonner le bénéfice de la protection fonctionnelle à l’issue d’une éventuelle plainte pénale.

Cela signifie que la protection fonctionnelle doit être accordée indépendamment des suites judiciaires.

D’ailleurs, il est remarquable de noter que à la suite de la réception de la note récapitulative adressée par les services du Défenseur des droits, la commune a fini par accorder de nouveau la protection fonctionnelle à son agent !

La rétroactivité de la prise en charge des frais médicaux et de représentation

La décision du Défenseur des droits préconise la prise en charge rétroactive des frais médicaux et de représentation liés à l’accident de service.

Cette recommandation renforce le caractère protecteur de ce dispositif en couvrant l’intégralité des frais engagés par l’agent, même avant l’octroi formel de la protection.

Il convient de préciser en outre qu’après avoir reçu la note récapitulative du Défenseur des droits, la commune a accepté de reconnaitre l’imputabilité au service de l’agression subie par la réclamante !

Le bénéfice du dispositif de signalement étendu aux agents mis à disposition

Face à l’absence d’écoute et de soutien dénoncé en l’espèce par l’agent victime, le Défenseur des droits recommande d’étendre le dispositif de signalement et de traitement des cas de harcèlement aux agents mis à disposition dans d’autres structures.

Cette extension élargit là encore le périmètre de la protection fonctionnelle.

Pour la commune, cela nécessitera probablement une révision des procédures internes et potentiellement des ressources supplémentaires pour sa mise en œuvre.

L’obligation de suivi régulier des  conditions de travail des agents

Ici encore, le Défenseur des droits relève qu’aucun obstacle ne s’opposait à ce que la commune décide d’entendre les agents qu’elle met à disposition de l’association, dès lors qu’elle demeure l’autorité compétente pour leur accorder la protection fonctionnelle.

La décision souligne dès lors l’importance de recevoir régulièrement les agents mis à disposition pour échanger sur leurs conditions de travail.

Cela implique une obligation de vigilance accrue de l’employeur public, même lorsque l’agent est mis à disposition d’une autre structure.

La réparation intégrale des préjudices subis par l’agent

Le Défenseur des droits recommande à la commune de procéder à la réparation des préjudices résultant du harcèlement sexuel et du manquement à l’obligation de sécurité.

Cela souligne l’étendue de la protection fonctionnelle, qui doit couvrir l’ensemble des préjudices subis par l’agent.

Cette décision renforce donc considérablement la portée et l’effectivité de la protection fonctionnelle pour les agents territoriaux mis à disposition.

Elle vient consacrer le Défenseur des droits comme « une vigie » de la protection de ces agents ; avec des pouvoirs certes non contraignants, mais qui peuvent se déployer auprès des juridictions et notamment administratives en cas de non-respect des recommandations qu’il adresse.

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