Vous avez publié plusieurs travaux sur l’épreuve de la classe pour les professeurs débutants. Quelles sont les difficultés auxquelles doivent faire face ces jeunes enseignants ?

L’une des premières difficultés, ce sont les disparités contextuelles d’exercice du métier, la variété des situations et des postes, qui sont de plus en plus contrastés. Il faut souligner à quel point les contextes scolaires sont différenciés en fonction des publics, des conditions d’enseignement, de la constitution des équipes.  La différenciation scolaire est davantage marquée dans le secondaire que dans le premier degré, en raison des ségrégations territoriales, sociales, scolaires et ethniques. Les populations sont plus diversifiées mais leur concentration sur certains territoires ajoute une difficulté supplémentaire. Le rapport au savoir et aux études a également évolué avec là aussi une forte hétérogénéité sociale et scolaire des publics, avec des écoles « préservées » d’un côté et des quartiers pauvres de l’autre. La concentration de jeunes professeurs dans les académies déficitaires et dans les zones difficiles s’est maintenue voire renforcée et engendre un turn-over accéléré.

En outre, il y a un saut important entre la fin de la formation où le professeur débutant est accompagné, conseillé et rassuré par les pairs et les formateurs, et le moment où l’on bascule dans le vif et les épreuves et incertitudes du métier. Ici, l’enseignant n’est pas seul mais il est davantage contraint à une forme de réflexivité et d’exigence de maîtrise de ce qu’il va mettre en œuvre en termes d’enseignement, de gestion de la classe, de relation avec les partenaires et les parents. Les enseignants débutant la fonction doivent faire des réglages, des ajustements et des révisions dans leur enseignement parfois dans l’urgence des situations. Face à une sorte de solitude professionnelle, ils doivent trouver des réponses, au moins provisoires, aux défis multiples des commencements dans le métier.

Les difficultés que rencontrent ces jeunes enseignants sont-elles différentes de celles qu’ont pu rencontrer leurs aînés ?

L’autorité est à construire et à conquérir auprès des élèves, il est question de la légitimité de l’enseignant. Auparavant, être enseignant vous conférait d’emblée une certaine autorité car l’enseignant était dépositaire de l’autorité que lui conférait une institution reconnue. Aujourd’hui, l’autorité n’est plus acquise parce que la légitimité des enseignants est affaiblie. Les sources et supports de cette légitimité sont ébranlés ou contestés : la légitimité de l’institution, celle des savoirs et celle que procurait l’image d’un métier choisi par vocation.

Selon vous, la formation actuellement dispensée aux jeunes enseignants correspond-t-elle à la réalité du métier ? Que préconiseriez-vous pour l’améliorer ?

Il faudrait parler « des formations » car il existe des disparités en matière de formation selon les ESPE. Certes, de grandes lignes encadrent les formations mais elles sont déclinables d’un ESPE à l’autre. En réalité, la formation initiale peut beaucoup mais elle ne peut pas tout. Les situations sont moins prévisibles qu’auparavant pour les enseignants et ils éprouvent le sentiment d’un risque au sens relationnel : ne pas savoir comment le cours va se dérouler, ni comment cela va se passer avec les parents ou les élèves eux-mêmes. Les enseignants ont le sentiment d’être en permanence sur la brèche et cela nécessite donc de leur part d’être vigilants, réactifs, réflexifs. Les professeurs débutants sont plus exposés du fait d’un manque d’expérience, notamment dans la gestion de la classe, de la discipline. De ce point de vue, les meilleurs cours dispensés dans les ESPE ne suffiront jamais à recouvrir la palette de situations auxquelles les enseignants seront confrontés ni à leur permettre d’anticiper la décision à prendre dans l’urgence.

La formation est donc de plus en plus nécessaire et de moins en moins suffisante. En France et en Europe, il y a une prise de conscience réelle sur la nécessité de former les enseignants. C’est le va et vient entre la mise en situation accompagnée et analysée, et l’apport pour penser son action qui semblent être le modèle le plus efficace.

Toutefois, la question aujourd’hui est certes celle de l’entrée dans le métier mais également celle de la durée dans le métier. L’enjeu ne repose pas seulement sur la formation initiale mais aussi sur la formation tout au long de la carrière, qui pose la question de l’accompagnement dans le métier. A cet égard, la multiplication des réformes ne rassure pas les enseignants mais les désoriente probablement davantage. Les enseignants font déjà face à une complexité au quotidien qu’ils parviennent difficilement à résoudre, c’est donc tout au long du métier qu’il est nécessaire de les accompagner. Les enseignants doivent pouvoir être accompagnés à leur demande, à partir des besoins qu’ils expriment tout au long de la carrière. On ne peut pas laisser les enseignants seuls pour faire face à la complexité du métier. Il est ainsi nécessaire que l’institution accompagne et soutienne les professionnels à partir de ce qu’ils expriment.

Selon vous, comment définir les responsabilités des enseignants et comment les protéger davantage face aux risques du métier ?

Cette question rappelle à quel point c’est un métier qui fait appel à une responsabilité multiforme : une responsabilité pédagogique, éthique, juridique etc. Il faut souligner à quel point c’est un métier exigeant compte tenu des responsabilités qu’il faut endosser.

Les enseignants sont aujourd’hui davantage exposés, il y a une mise en jeu de soi et une mise en jeu professionnelle. Les enseignants ont le sentiment d’être sur la brèche en permanence et c’est épuisant. Il y a un sentiment de vulnérabilité face à l’imprévisibilité des situations. La mise à l’épreuve recommence sans cesse et il ne s’agit pas d’un simple rite de passage. C’est plus présent car la relation a pris une place grandissante dans les rapports pédagogiques et avec les différents acteurs.

Par ailleurs, le cadre juridique dans lequel les enseignants exercent est largement méconnu et un peu négligé. Le règlement intérieur existe mais présente de nombreux vides juridiques. Face à l’urgence des décisions à prendre, l’enseignant ne peut pas toujours s’adosser au règlement intérieur ou à un cadre juridique précis, il arrive parfois qu’il ne s’applique pas à la situation. Connaître le règlement intérieur est nécessaire mais dans bien des cas, il n’est pas adapté à la palette de situations vécues.

Il convient dès lors d’inscrire l’activité individuelle de l’enseignant dans un cadre collectif, de le mettre en réseau avec d’autres, avec des associations pour partager et mutualiser les expériences face à des situations difficiles. On ne peut pas tout dire à ses collègues ou à sa hiérarchie, l’enseignant a besoin d’extérioriser la question pour ne pas avoir le sentiment de dévoiler une forme d’échec ou de difficulté, il faudrait établir une sorte d’« écoute protégée » avec des personnes extérieures.

Bibliographie

  • PÉRIER Pierre, Professeurs débutants, Les épreuves de l’enseignement, PUF, collection « Éducation & Société », 2014
  • FARGE Géraldine et PÉRIER Pierre, Le métier d’enseignant : une identité introuvable, ENS éditions, janvier 2019
  • PÉRIER Pierre, « Crise et/ou recomposition identitaire des professeurs débutants du secondaire ? Entre héritage et incertitudes professionnelles », Recherche & formation, vol. 74, no. 3, 2013, pp. 17-28