Valentine Zuber, bonjour. La mission de l’école républicaine est notamment de former des citoyens. Quelle est historiquement la place de la laïcité dans sa construction ?
Elle est très importante, parce que la laïcité de l’État français s’est construite autour de l’école. C’est à partir de la laïcisation de l’école qu’on a abouti à la laïcisation de l’État et à la séparation des Églises et de l’État en 1905. Cette laïcisation de l’école a commencé très tôt, dès la période révolutionnaire, même si les révolutionnaires n’ont pas pu mettre en pratique toutes leurs idées sur le sujet. Et elle s’est concrétisée par un régime républicain qui, sous la Troisième République, a voulu reprendre le projet révolutionnaire et a organisé, au niveau primaire, une école laïque, publique et obligatoire.
Quel était l’objectif en instaurant cette école républicaine ?
Il était double. D’abord, un objectif d’instruction, consistant à alphabétiser la population, à lui enseigner des connaissances en français. La France était alors un pays multilingue, avec autant de patois que de régions. Le deuxième objectif était l’éducation. Il s’agissait d’une éducation civique et morale pour les nouveaux citoyens. C’était presque la première mission de l’école laïque imaginée sous la Troisième République. L’école devait persuader l’ensemble de la population que le régime républicain était nécessaire à la pacification politique de la France.
Depuis la Révolution française, on oscillait entre plusieurs régimes politiques : une monarchie restaurée, une autre constitutionnelle, puis de nouveau une République en 1848, suivie d’un coup d’État et du Second Empire. Dans cette lutte politique entre les forces dites « du passé », légitimistes, catholiques et monarchistes, et les forces dites « du progrès », les républicains, il y avait une véritable lutte de pouvoir. Celle-ci a traversé l’école, et c’est par cette laïcisation et cette institutionnalisation de l’école qu’on est parvenu à convaincre la majorité de la population que le régime républicain était celui qui convenait à la France.
Quelles sont les origines de l’école laïque en France ? De quand date véritablement son instauration ? Quel a été le parcours pour y aboutir ?
Après les projets révolutionnaires, l’école laïque s’est mise en place de façon progressive. Cela a commencé par l’université impériale sous Napoléon, qui avait le monopole de l’enseignement d’État et concernait tous les niveaux. Avec cette université impériale, cohabitaient, au niveau primaire, des écoles plutôt confessionnelles, souvent gérées par le curé de la commune. C’est François Guizot qui va, pour la première fois, élaborer un système institutionnel public qui n’était pas encore laïque, avec la création d’une école primaire par commune et d’une école normale d’instituteurs par département. C’est l’embryon de l’Éducation nationale. Après plusieurs atermoiements, la grande réforme de l’école a lieu dans les années 1880, lorsque les républicains se sont affermis au pouvoir.
La loi de 1881 instaure une école primaire publique obligatoire et la loi de 1882 la rend laïque. Enfin, la loi de 1886 interdit aux membres des congrégations et aux prêtres d’enseigner dans les écoles publiques. On assiste à une laïcisation du cadre et des personnels.
Comment la création de cette école a-t-elle été perçue à cette période ?
La perception de l’école laïque dépendait du bord politique de chacun. Les monarchistes, nostalgiques du légitimisme catholique, ne la voyaient pas d’un bon œil, parce que c’était une école sans Dieu, et donc, pour eux, une école sans morale.
Pour les autres, c’était une très bonne chose. On s’intéressait au peuple, qui manquait d’instruction et d’éducation, et on émancipait l’école des tutelles religieuses, jugées obscurantistes, etc. Cette première école s’adressait au peuple et non aux élites. Celles-ci continuaient de faire éduquer leurs enfants dans des congrégations religieuses.
L’école populaire des années 1880 préfigure l’école de masse de la fin du XXe siècle.
Son instauration s’est-elle faite facilement à l’époque ?
Non. Je crois que ça a été un véritable combat au niveau du gouvernement, à l’Assemblée et dans les communes. Par exemple, dans l’ouest de la France, l’installation d’une école publique dans chaque commune a été très difficile, car il y avait une école privée catholique, préférée par les parents.
L’appropriation de l’école publique a été progressive. Jules Ferry et les ministres qui lui ont succédé ont toujours été très attentifs à ne pas heurter les parents. Les séduire était nécessaire pour que cette école fonctionne. Les programmes étaient laïcs, mais un jour de vacances au milieu de la semaine a été aménagé pour respecter la liberté d’enseignement des parents. Leurs enfants pouvaient alors suivre des cours d’instruction religieuse.
Jules Ferry a toujours été très prudent sur ces questions religieuses. Dans sa célèbre lettre aux instituteurs de 1883, il leur a demandé d’éviter tout propos pouvant choquer les parents.
Et enfin, pouvez-vous nous dire quel est aujourd’hui l’héritage de ces réformes de la Troisième République ?
L’héritage est très fort. L’Éducation nationale actuelle se situe dans sa continuité et se réclame de cette école républicaine, installée dans les années 1880. Ses discours et ses circulaires véhiculent, encore aujourd’hui, une philosophie d’émancipation, inspirée des Lumières et du positivisme. Mais aussi l’idée que l’on doit éclairer les consciences des enfants et, dans la mesure du possible, les arracher aux déterminismes familiaux et religieux à travers l’apprentissage à l’école.