Bonjour Catherine Becchetti-Bizot. Vous connaissez bien ce sujet de l’école inclusive, et cela, d’autant mieux qu’il est aujourd’hui au cœur de vos missions en tant que médiatrice.
L’école inclusive est au cœur du métier de médiatrice. Il s’agit d’égalité des chances et de lutte contre les inégalités d’accès à l’éducation et à la formation au sens large. C’est un devoir fondamental de l’École de la République et un droit pour chaque enfant d’être accompagné à son rythme pour progresser et réussir. Cette question de l’inclusion et de l’accessibilité pédagogique est à la fois l’aiguillon et le fer de lance de la réussite de l’École de la République.
Si je me suis intéressée au sujet de l’école inclusive avant d’être médiatrice, en tant qu’inspectrice générale, c’était parce qu’il me semblait qu’on devait faire reculer les limites de notre système éducatif. Tout ce qu’on met en œuvre pour répondre aux besoins de ces enfants, pour qu’ils accèdent à l’éducation et à un diplôme, fait progresser le système éducatif.
On se demande souvent comment relier cette attention aux particularités de chacun et à l’idée d’universalisme sur laquelle est bâtie l’école républicaine.
C’est la vraie question. L’égalité des chances ne veut pas dire l’uniformisation, l’uniformité ou l’égalitarisme. C’est surtout une question de regard et de stratégie pédagogique. Chaque enfant est particulier et rencontre des obstacles dans son parcours, même quand il n’est pas en situation de handicap.
Les particularités de chacun doivent être vues comme une opportunité pour améliorer la pédagogie, pour que l’enfant puisse grandir et réussir, et non d’emblée comme des obstacles. L’accessibilité consiste à faire en sorte que chacun accède aux mêmes chances de réussite.
La prise en compte du handicap n’est pas une question de compassion. Le but, d’ailleurs, n’est pas d’accueillir ces enfants à l’école, mais de les scolariser. C’est une question de transformation systémique qui nous fait tous évoluer, changer de regard, améliorer nos outils, etc. Cela passe par la formation des équipes pédagogiques à la différenciation des parcours.
D’ailleurs, il en va de même pour la diversité en général. Tout apport étranger à la norme est une richesse et un défi pour le système éducatif. Ce sujet nécessite d’y consacrer du temps et une réflexion collective. La médiation s’en est emparée très tôt pour faire valoir les droits des enfants concernés.
Quel regard portez-vous sur la situation actuelle ? Les choses avancent-elles suffisamment vite en matière d’inclusion en milieu scolaire ?
Pour le médiateur, rien n’avance jamais assez vite. Mais une évolution systémique prend du temps. C’est une responsabilité qui ne peut pas peser uniquement sur l’Éducation nationale et les professeurs. Ceux-ci ont de multiples responsabilités dans beaucoup de domaines. Cela n’a pas été facile pour eux d’accepter l’idée que tout élève en situation de handicap doit être scolarisé en milieu ordinaire.
L’inclusion en milieu scolaire est une question interministérielle, incluant le ministère de la Santé, la ministre déléguée aux personnes handicapées et les collectivités territoriales. Les problèmes sont identifiés depuis plus de 20 ans. Mais malgré cette prise de conscience, la volonté politique et les évolutions notables depuis la loi de 2005, la mise en place des nouveaux dispositifs est plus lente que nous le souhaiterions. C’est encore un parcours du combattant pour de nombreuses familles avec un enfant en situation de handicap.
Malgré tout, certains dispositifs récents nous incitent à être optimistes. Les PIAL, pôles inclusifs d’accompagnement localisé, constituent une idée intéressante. On manque encore d’AESH et les familles ne sont pas toujours satisfaites, mais l’impulsion est donnée. Les moyens augmentent, des simplifications ont été apportées, la cohésion entre les partenaires est meilleure, etc.
Depuis 5 ans, le nombre d’élèves en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire a augmenté de presque 20%, et le nombre d’AESH, de 35%. Nous avons encore des marges de progrès, mais les recommandations du médiateur sont toujours entendues et portées par l’administration.
Vous venez d’évoquer les AESH, qu’en est-il justement de leur situation ?
Au départ, leur statut était précaire et le reste encore parfois. Ils ont fait l’objet de nombreuses discussions, déjà du temps où on les appelait les AVS, auxiliaires de vie scolaire. Qui allait les rémunérer ? Dépendaient-ils du ministère de la Santé ou de l’Éducation nationale ? Qui était responsable de leur carrière et de leur contrat ? Aujourd’hui, les choses ont été tranchées. Les AESH sont des personnels à part entière de l’Éducation nationale. Même lorsqu’une partie du service ressort d’une collectivité locale, ils bénéficient d’un CDI. Une grille indiciaire va leur permettre d’avoir une vraie carrière.
Il reste néanmoins certaines questions concernant le morcellement de leur emploi du temps, leur niveau de formation, les frais de transport, leur recrutement, etc. Recruter n’est pas facile. Les distances à parcourir entre les lieux de résidence et les établissements ne rendent pas le métier attractif. De plus, les familles demandent des accompagnements individuels, alors que les AESH interviennent plutôt pour des collectifs d’élèves.
Au-delà des personnels spécialisés, n’est-il pas nécessaire de davantage former les enseignants ?
Le problème est qu’on demande de plus en plus de choses aux enseignants. L’important est de générer chez eux une prise de conscience. Cela passe par un accompagnement pédagogique plutôt qu’une formation initiale. Avoir un enfant handicapé dans leur classe est une chance, mais ce n’est pas une évidence pour eux au départ. Ils ne sont pas armés pour répondre à certaines problématiques. Mais cela doit faire partie de leur mission et de leur priorité.
Leur formation doit être renforcée à 2 niveaux. Lors de la formation initiale, dans le cadre de la prise en charge d’élèves handicapés en classe ordinaire. Puis en formation continue. On n’a jamais fini d’expérimenter avec les enfants en situation de handicap. Chacun est différent.
Ce n’est qu’avec le temps qu’on aboutira à une véritable pédagogie inclusive. Il ne faut pas précipiter les choses. Chaque problème est une occasion de progresser. Je suis très optimiste sur le fait qu’on va pouvoir trouver des solutions pour tous ces enfants. Leur accueil en classe est capital.
Mais ne peut-on pas aussi progresser quant à l’aménagement des conditions d’examen ?
On n’en parle pas souvent, mais en tant que médiatrice, c’est l’un des sujets qui me préoccupe le plus. Aux côtés de plusieurs associations, je défends depuis longtemps l’idée d’une cohérence entre les aménagements mis en place pour les enfants pendant leur scolarité et ceux dont ils vont bénéficier lors des examens. D’ailleurs, quand on prévoit un aménagement dans le cadre du PPS ou d’un PAI, il faut penser tout de suite à sa compatibilité avec l’examen. Est-ce qu’il sera possible pour l’enfant de passer l’examen ? Après plusieurs années de travail avec le ministère et les associations, nous avons obtenu que cette cohérence soit mise en place. Ces nouvelles dispositions vont certainement rassurer les familles, sans pour autant remettre en cause le niveau de l’examen, bien sûr.
En matière d’école inclusive, on cite souvent l’Italie comme exemple. Y a-t-il, selon vous, des bonnes pratiques à aller chercher ailleurs ?
Certainement, parce qu’on avait du retard en France. Mais ce retard était plutôt culturel. L’Italie a une approche inclusive depuis longtemps, très différente de la nôtre. Il y a notamment, dans les classes qui accueillent un enfant en situation de handicap, un deuxième enseignant « de soutien ». On peut s’inspirer de cette solution qui privilégie une scolarisation en milieu ordinaire, plutôt qu’une prise en charge médicalisée de la scolarité de l’enfant.
Néanmoins, nous avons des histoires et des cultures différentes. La France a fait d’autres choix sur le plan historique. Cela va prendre encore un peu de temps pour qu’on arrive à transposer en France les solutions que l’Italie a découvertes depuis longtemps. Il est donc difficile de comparer les deux systèmes.