La délicate interface parents-enseignants : difficultés et enjeux
Publié le 27/01/2023
Y a-t-il plus de tensions aujourd’hui qu’autrefois autour de la laïcité, notamment pour les enseignants ? La loi de 1905 mérite-t-elle d’être complétée ? Que nous apprennent les comparaisons internationales ? Valentine Zuber, historienne spécialiste du sujet, répond à nos questions sur l’évolution de la laïcité de la 3e République à nos jours.
À chaque fois que la laïcité entre massivement dans le débat, c’est de manière très conflictuelle. Les débats sur le sujet étaient déjà très vifs à la Chambre des députés, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, même si le motif était différent. Il y avait autant de passion à cette époque-là qu’au moment de la loi Debré en 1959, et que depuis 1989 et l’affaire dite « des foulards de Creil ».
Non, je ne crois pas. Les contemporains de Jules Ferry devaient faire admettre qu’on ne devait pas parler de convictions religieuses à l’école, qu’on était là pour apprendre à être citoyen et se former à toutes les disciplines nécessaires à une vie d’honnête homme. Les professeurs devaient faire face à des contestations véhémentes des parents, des curés, etc. Je me rappelle du témoignage d’un ancien instituteur dans un village de Vendée, qui était croyant. Il devait aller à la messe dans une paroisse voisine, parce que, comme il travaillait dans une école publique, le curé de son village ne voulait pas de lui.
Les discussions plus ou moins vives sur la laïcité ont traversé l’histoire. Actuellement, le débat est très intense et l’objet a changé. Il ne s’agit plus de combattre l’endoctrinement clérical, mais les préjugés religieux, qui apparaissent contraires aux idéaux de la modernité et de la République.
Oui, il y a effectivement une focalisation, dans le débat sur la laïcité, sur la question religieuse et le fondamentalisme qu’il faut déraciner dans l’esprit de la jeunesse. C’est la mission actuelle portée par l’école. Mais de nombreux débats sociaux et sociétaux, depuis les années 1960, nous montrent que la laïcité ne concerne pas seulement telle ou telle religion. Elle concerne aussi l’indépendance et l’autonomie de l’État vis-à-vis des conceptions religieuses ou politiques qui émanent de la société.
À ce titre, je dirais que tout le débat sur l’émancipation des femmes et sur l’égalité femmes-hommes relève aussi du discours sur la laïcité. Avec la loi Neuwirth sur la contraception, la loi Veil sur l’avortement, la loi de 2013 autorisant le mariage pour tous, la loi de 2021 permettant la PMA pour toutes, on constate qu’on est dans une société qui s’écarte définitivement de la morale religieuse traditionnelle. Ce n’était pas le cas à la fin du XIXe siècle. Les républicains et les catholiques avaient une morale personnelle et familiale relativement semblable, avec ou sans Dieu. Actuellement, nous sommes dans une véritable pluralisation des morales et des valeurs. La laïcité est extrêmement sollicitée, puisqu’elle constitue un cadre qui doit permettre la coexistence, sans trop de heurts, de valeurs différentes dans la société.
Les enseignants ont subi un déclassement social continu depuis la Troisième République. S’ils étaient les fers de lance du nouveau régime, ils se sentent désormais mis à l’écart, dirigés d’en haut, et pas assez considérés, ni financièrement, ni même symboliquement. Ce ressenti s’exprime à travers leurs revendications salariales, mais aussi de reconnaissance. Ils ont le sentiment d’être au front et d’avoir une bataille à gagner sans avoir assez de moyens.
En ce sens, la symbolique des Hussards Noirs persiste, mais dans un contexte de frustrations, puisque les enseignants ne se sentent pas suffisamment armés pour affronter de nouvelles populations scolaires, extrêmement diverses.
Au-delà même de cette diversité, on constate un échec relatif, d’un point de vue social, de l’école publique. Elle ne remplit pas sa mission d’ascenseur social, alors que cela devait être l’une de ses missions principales.
C’est très intéressant de comparer avec nos voisins et cela ne fait pas toujours plaisir quand on lit les rapports PISA annuels. En termes de réussite à l’école en Europe, la France n’est pas si bien placée.
La thématique instruction-éducation est peut-être moins présente dans les écoles voisines, et en particulier dans ce que vous appelez le système anglo-saxon. Je récuse ce terme, parce qu’il y a autant de systèmes que de pays. Chez nos voisins européens, on fait plus confiance à la famille, à la coéducation. On est moins dans l’idée de l’arrachement de l’enfant à ses déterminismes, mais plutôt dans l’accompagnement et dans une certaine tolérance de la diversité. Cela favorise l’apprentissage du socle minimum de connaissances pour devenir un citoyen.
Le principe est identique et, tant dans l’armée qu’à l’école, il faut gérer des centaines de personnes dans un cadre commun. Mais les expériences de mise en pratique de la laïcité peuvent être très différentes.
En ce qui concerne l’école, peut-être parce qu’il s’agit de mineurs, non considérés comme autonomes, la laïcité devient très normative. On interdit dans les règlements intérieurs, et à travers la Charte de la laïcité, un certain nombre de comportements et, avec la loi du 15 mars 2004, le port de signes religieux ostensibles à l’école publique.
L’armée, qui pratique une laïcité parce qu’elle s’adresse à des publics très variés et jeunes, s’accommode davantage des convictions propres des personnes recrutées. Elle accepte facilement, par exemple, qu’il y ait des menus halal ou casher pour les soldats. À l’école, c’est absolument impossible et les débats autour de la cantine sont continus, même pour savoir si le menu végétarien est considéré comme laïque ! Dans l’armée, on ne parle pas non plus d’atteinte à la laïcité. Celle-ci est gérée de façon différente, et cela ne fonctionne pas si mal.
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