Bonjour Gilles Monceau. On évoque souvent les parents d’élèves en général. Mais ne sont-ils pas tous différents ?
Effectivement, l’expression « parents d’élèves » est une catégorisation fabriquée institutionnellement, qui, en réalité, ne dit rien, car elle n’est pas homogène socialement. Cette catégorisation tend à les séparer artificiellement des enseignants, alors que ces derniers sont aussi souvent parents d’élèves. Et même s’il n’a pas d’enfant, un enseignant est toujours l’enfant de quelqu’un. Les enseignants sont donc, eux aussi, concernés par la parentalité.
La posture de l’enseignant face aux parents est toujours influencée par son expérience personnelle de la parentalité. C’est une sorte d’angle mort pour l’Éducation nationale. Et lorsqu’on n’amène pas les enseignants à réfléchir sur cette question, on a toutes les chances pour que cette influence ressorte inconsciemment dans leur relation aux parents.
J’ai expérimenté un certain nombre de dispositifs d’analyse de pratiques avec des enseignants, mais aussi avec des travailleurs sociaux. Ils montraient l’importance de réfléchir avec eux sur leur positionnement professionnel, en tant que parent, voire enfant ou ex-enfant.
Selon vos recherches, existe-t-il une bonne manière pour les enseignants d’interagir avec les parents, notamment au regard de la réussite des élèves ?
Il y a toujours cette tentation institutionnelle, voire politique, un peu partout dans le monde, de standardiser les manières de faire, et donc pour les enseignants, les bonnes pratiques pour travailler avec les parents. Les recherches dans différents pays montrent qu’il est difficile de définir le meilleur dispositif ou les pratiques les plus efficaces de coéducation.
On constate, comme le montrent les travaux de Pierre Périer sur les rapports entre l’école et les familles dites « populaires », que plus on met la pression sur certains parents pour les amener à coopérer avec l’école, plus on peut provoquer l’effet inverse. La clé est donc de bien connaître son terrain et de savoir à qui l’on s’adresse. Il faut faire confiance aux enseignants et aux chefs d’établissement et les accompagner dans leur réflexion sur les dispositifs qu’ils mettent en place, plutôt que de leur donner des dispositifs clés en main, pas forcément adaptés à leur établissement. Bien sûr, diffuser les expériences pédagogiques permet d’en inspirer d’autres, ce qui est différent de répliquer.
Enfin, on ne peut pas traiter tous les parents de la même manière. On doit les respecter, écouter leurs demandes variées et changeantes. Il ne s’agit pas de leur imposer des réponses standardisées. C’est aussi bien une question d’efficacité que d’éthique professionnelle.
Les relations enseignants-parents semblent de plus en plus conflictuelles, du point de vue des enseignants. Le baromètre de L’ASL donne des chiffres allant dans ce sens. Qu’en est-il selon vous ?
Les conflits parents/enseignants englobent des réalités très différentes. On ne peut pas qualifier de la même façon une situation dans laquelle un parent s’en prend physiquement à un enseignant, et une autre où il intervient de façon un peu véhémente auprès de l’établissement scolaire, avec des exigences qui vont sembler disproportionnées pour les professionnels.
Il est vrai que l’insatisfaction des parents vis-à-vis de l’école et les tensions sont croissantes. Mais cet aspect n’est pas que négatif : il témoigne d’un plus grand investissement des parents dans la scolarité des enfants, y compris dans les familles de catégorie dite « populaire ».
Les enseignants sont-ils suffisamment préparés à toutes ces mises en cause, directes ou indirectes ?
C’est sans doute une grande partie du problème. De longues années de pratique sont nécessaires pour avoir une certaine aisance face aux parents. D’autant plus que la relation avec eux a évolué très rapidement.
Le pire, et c’est souvent le cas en début de carrière, c’est lorsqu’un enseignant se sent seul face à des parents parfois très revendicatifs. Il n’ose pas parler de ce qu’il considère comme un problème et intériorise l’idée qu’il est mauvais. On ne dit pas assez aux enseignants que le système, l’évolution des politiques scolaires, amène justement les parents à être plus présents et exigeants.
Je rencontre souvent de jeunes enseignants nostalgiques d’une époque passée. Ils ont en tête le mythe de l’école de Jules Ferry, où tout le monde tenait bien sa place, où personne ne débordait les prérogatives des autres. L’école a changé, et ces transformations ne viennent pas seulement des parents, mais aussi des politiques.
Qu’est-ce qui peut concrètement aider les enseignants à faire face à ces transformations dont vous avez parlé ?
On observe souvent, en particulier chez les jeunes enseignants, une demande de soutien inconditionnel de leur hiérarchie. Quand un chef d’établissement lève une punition qu’un enseignant a attribuée à un élève, c’est insupportable pour l’enseignant. Ce type de situation génère des conflits. Or, pour créer une relation parents/enseignants de confiance et prévenir des faits de violence, un climat d’entraide est d’abord nécessaire au sein de l’équipe pédagogique. La gestion de la relation aux parents doit être plus collective.
Toutes les enquêtes sur le climat scolaire montrent bien que la stabilité des équipes et la continuité d’un projet pédagogique est essentielle. Je viens de voir un établissement où le chef d’établissement a changé quatre fois en deux ans. Ça n’aide pas tellement les enseignants dans leurs relations avec les parents, indépendamment de leurs qualités propres ou des demandes des parents.
Quel soutien peut-on apporter aux enseignants en termes de formation au sujet des relations avec les parents ?
J’observe que certaines modalités de formation fonctionnent, d’autres moins bien. Tout ce qui relève des formes classiques de transmission, de formation, de cours magistraux standardisés, sont évidemment plus faciles à mettre en place pour l’institution et sans doute pour les formateurs. Cela permet aussi de former des quantités d’enseignants sur des temps assez courts. On met un point au programme, et à partir du moment où on en a parlé aux enseignants, on considère qu’on les a formés.
En revanche, comme je l’ai évoqué, certains dispositifs d’analyse de pratiques, de tutorat ou de mentorat, permettent d’accompagner des enseignants, dans une réflexion sur leurs pratiques, leur relation avec les parents, les points de tension, ce qui leur est insupportable ou plus facile, etc.
Il est nécessaire de rendre la formation et la réflexion plus collectives, de faire partager les expériences. Cela limiterait l’autocensure des enseignants, la dissimulation de leurs difficultés et une prise de conscience trop tardive de la hiérarchie de certaines tensions avec les parents.
Par ailleurs, lorsque l’enseignant considère la relation aux parents comme faisant partie intégrante de son métier, de son travail pédagogique, cela a des effets très positifs. Renvoyer systématiquement les problèmes au directeur d’école ou au CPE affaiblit la position de l’enseignant plus qu’elle ne la renforce. L’intégration de la relation aux parents dans « le cœur du métier d’enseignant » est essentielle. C’est peut-être la préoccupation la plus importante à avoir pour faire évoluer les choses.