Bonjour Catherine Bechetti-Bizot. Le harcèlement est un phénomène complexe et parfois difficile à caractériser. À partir de quand emploie-t-on ce terme ? Quelle est votre approche en tant que médiatrice ?
Le harcèlement est un phénomène souvent difficile à appréhender. Il met parfois en difficulté, et même en déséquilibre, le système éducatif. Les médiateurs sont surtout sollicités pour ses conséquences, plus que pour le harcèlement lui-même, comme la dégradation des relations avec les collègues au travail ou avec la hiérarchie.
Au niveau de la médiation de l’Éducation nationale, nous nous y intéressons depuis de très nombreuses années, parce que c’est un phénomène qui rejaillit non seulement sur l’équilibre psychologique et la santé des individus, mais aussi sur l’entourage professionnel. De plus, le harcèlement a des conséquences sur le long terme, au niveau du recrutement, de l’évolution de carrière, et même des conséquences financières. Les victimes ont d’abord besoin d’écoute et de reconnaissance de leur souffrance. Le médiateur a un rôle particulier. Il ne va pas remplacer l’action administrative, mais il va d’abord reconnaître la souffrance du requérant. Puis, il va s’assurer que cette situation est bien connue et prise en charge par l’administration compétente.
En principe, une situation de harcèlement doit être traitée le plus vite possible. On constate que certaines personnes viennent vers nous à la recherche d’une écoute dans la confidentialité, l’un des principes fondateurs de la médiation, car elles ont peur de parler à leur hiérarchie. Elles ont peur des représailles, de la stigmatisation et du rejet de l’institution. Le médiateur, normalement, arrive en bout de chaîne, une fois que les premières démarches administratives et les recours gracieux ou hiérarchiques ont été entrepris. Mais dans les faits, en cas de harcèlement au travail ou de présomption de harcèlement, il intervient aussi en amont, en prévention et non pas en réparation.
Le rôle du médiateur est alors d’écouter la personne, de détecter les signaux d’alerte et de faire en sorte qu’une enquête administrative soit diligentée pour objectiver et qualifier la situation. Il s’assure qu’un accompagnement adéquat de la personne soit mis en place au niveau psychologique, en termes de management d’équipe ou d’évolution de carrière. Il veille, si besoin, au déclenchement d’une protection fonctionnelle, pour que la personne ne soit plus exposée à son harceleur présumé, sans devoir attendre qu’une enquête, parfois longue, aboutisse.
Le médiateur doit aussi vérifier, s’il existe des indices, qu’un signalement soit fait, soit à l’administration, soit, si c’est plus grave et plus urgent, directement au procureur.
Le rôle du médiateur n’est pas de qualifier le harcèlement. Pour autant, vous y êtes intéressée en tant que médiatrice de l’Éducation nationale. Comment avez-vous commencé à vous intéresser à ce sujet qui n’est pas, de prime abord, l’une des prérogatives principales du médiateur ?
J’ai commencé à m’y intéresser en rencontrant quelques personnels qui avaient besoin de la reconnaissance d’une personne bienveillante, qui n’allait pas les juger. Or, le médiateur est positionné hors de l’administration. C’est un tiers bienveillant, neutre, impartial, qui respecte la confidentialité et qui est indépendant. Je me suis engagée sur ce terrain, en me disant que le temps que j’allais leur consacrer allait peut-être leur permettre de faire un pas en avant. L’idée est que la démarche de ces personnes soit volontaire, pour qu’elles soient actrices de la solution qu’on va leur proposer.
D’autre part, les situations de harcèlement ont très souvent un caractère urgent. Le médiateur, même s’il n’est pas, a priori, le mieux placé pour enquêter ou qualifier la situation, est dans la position d’un agent de la fonction publique. Il se doit de signaler un crime ou un délit dont il est témoin. On ne transige pas avec le harcèlement et on ne doit pas perdre trop de temps à écouter les personnes. Souvent, elles tournent en rond et alimentent leur propre souffrance. Elles ont besoin que des professionnels, qu’il s’agisse de psychologues, de juristes ou d’agents administratifs, les accompagnent.
Pour toutes ces raisons, mon réseau de médiateurs et moi avons pris la décision de traiter ce sujet plusieurs années de suite, pour servir d’aiguillon et améliorer le système de prise en charge. La loi, le cadrage juridique, était déjà là. Mais en pratique, on se rendait compte qu’en situation de harcèlement, personne ne savait très bien par quoi commencer. Ce flou fait que le médiateur est souvent le premier acteur à prendre en charge la situation, alors qu’en principe, il devrait être le dernier.
Vous parlez d’un rôle d’aiguillon du médiateur. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Le rôle d’un médiateur n’est pas de mettre l’administration en difficulté. C’est plutôt de faire des recommandations pour aider les agents à améliorer leur pratique. Un médiateur, par définition, est entre deux parties qui sont en conflit. Il écoute les difficultés des personnes concernées, qu’il s’agisse du supérieur hiérarchique, du N+2 ou du service administratif ou de l’établissement concerné par la situation du personnel qui fait appel à lui.
Le but du médiateur est de faire prendre conscience à l’administration de l’importance de certains sujets, de celle d’activer, pour se protéger, les procédures juridiques au bon moment. Qu’il serait dangereux, d’ailleurs, de ne pas les appliquer. C’est en ce sens que nous servons d’aiguillon. Notre rôle est parfois de mettre en évidence des obstacles ou des retards dans la mise en œuvre de certaines dispositions légales.
Lorsqu’une victime se dit harcelée, comment, selon vous, l’administration doit-elle réagir ?
Je pense que les personnels attendent de leur hiérarchie qu’elle les écoute avec bienveillance, sans les soupçonner de stratégies, de mensonges ou d’exagérations. Ils ont besoin d’être pris au sérieux. C’est la base d’une entrée en dialogue et d’une confiance. D’ailleurs, et c’est là une grande avancée du ministère, en principe, auprès de chaque recteur d’académie, il existe une cellule d’écoute, pour que les victimes de violences, d’intimidation, de discrimination, de harcèlement moral, sexuel ou sexiste, puissent se confier, sans en craindre les conséquences. Elles sont ensuite orientées vers un professionnel adapté.
Dans tous les cas, la posture appropriée ne consiste pas à condamner ni la personne qui se dit harcelée, ni le harceleur présumé. Les deux peuvent être en grande difficulté. C’est ce que m’a appris l’exercice de mon métier. On sait bien que, lorsqu’une situation de ce type est rendue publique, qu’on la qualifie trop vite, cela peut avoir des conséquences dramatiques, non seulement pour les deux parties, mais aussi pour l’institution qui les accueille.
Le plus important, pour le médiateur, est de s’assurer que toutes les étapes de traitement du harcèlement soient bien réalisées par l’administration : repérage, écoute, orientation, conseil, enquête administrative, puis mise en place d’un accompagnement, d’une protection, voire d’un signalement.
Pour autant, nous l’avons vu dans vos derniers rapports, la question du harcèlement professionnel dans l’Éducation nationale reste complexe à traiter. Concrètement, qu’est-ce qui pose problème aujourd’hui selon vous ?
Les médiateurs académiques et d’autres acteurs de proximité de l’institution ne sont pas toujours sûrs que le harcèlement soit de leur ressort. Ils ne se sentent pas qualifiés pour interpréter ou objectiver une situation. C’est cela qui ralentit le processus.
Les relations hiérarchiques, dans les deux sens, sont aussi un obstacle au traitement du harcèlement. Quand un chef de service apprend que son N-1 est accusé de harcèlement, dans un premier temps, il souhaite souvent le protéger. Et dans l’autre sens, il est difficile pour une personne qui se dit harcelée de mettre en cause son supérieur hiérarchique, parce qu’elle pense que cela va aggraver la situation. Elle risque d’être encore plus rejetée ou harcelée par cette personne.
Les freins ne sont pas administratifs, ils sont humains. Ils sont psychologiques. Ils sont liés au fait que les personnes soient dans la même équipe, travaillent ensemble et se côtoient au quotidien. Et c’est assez difficile d’intervenir là-dessus. D’où l’intérêt d’avoir un regard extérieur de personnes, comme le médiateur ou l’enquêteur, qui ne font pas partie du même environnement professionnel.
Ce qui pourrait améliorer les choses, c’est que l’arrêté qui définit les procédures de recueil et de signalement des actes de violence ou de harcèlement puisse être publié le plus vite possible. C’est une sorte de guide, pour que chacun sache quel est son rôle, à quel moment, quelles sont ses responsabilités, quels sont les outils dont il dispose et à qui il peut faire appel. Il ne s’agit pas que la procédure soit trop rigide, car chaque cas est particulier. Mais sans ce guide, on va continuer à se renvoyer la balle et à perdre du temps. Or, en cas de harcèlement, la perte de temps est toujours très dangereuse. Plus la situation dure, plus elle s’enkyste et s’aggrave, et plus elle est difficile à traiter et les personnes sont en danger.
Vous parliez d’un problème humain plus qu’administratif. Peut-on considérer qu’il y a un manque de formation pour faire face au harcèlement au travail ?
Oui. La formation donne des outils. Elle permet de savoir à qui s’adresser pour être sensibilisé à l’importance du problème, pour connaître les cadres juridiques, les risques et les sanctions possibles si l’affaire n’est pas traitée. Tout cela demande une formation, pas seulement juridique, mais aussi psychologique et culturelle. Il faut changer de regard, et cela n’est possible que si on travaille sur des cas pratiques en partageant les points de vue, si on est formé à l’écoute et à l’accompagnement pour ne pas aggraver les choses.
On voit parfois des personnes de bonne volonté essayer d’aider des victimes de harcèlement ou de discrimination. Au lieu de cela, elles aggravent leur situation par des maladresses dans leur manière de communiquer et de qualifier la situation.
De nombreux partenaires, en particulier L’ASL, peuvent avoir un apport en termes de sensibilisation et de formation. Ils ont une expertise que l’administration n’a pas forcément en interne. Pour autant, travailler avec des partenaires ne doit pas déresponsabiliser l’administration. C’est à elle de se donner les moyens d’agir, même si c’est par des partenariats. Et même en cas de recours à des acteurs externes, c’est bien à l’administration de piloter cette formation.