Benjamin Moignard, peut-on avoir le sentiment que le climat se détériore sur le plan des insultes ou des incivilités en milieu scolaire, à l’encontre des personnels d’éducation ?
On constate une stabilité, mais dont il faut se méfier, puisqu’elle masque une polarisation plus forte qu’à la fin des années 1990. D’un côté, il y a plus d’établissements qui vont bien, d’un autre, plus d’établissements en très grande difficulté. Il y a plus d’inégalités, mais on ne peut pas parler globalement d’une explosion de ce type de violences.
D’autres facteurs peuvent-ils expliquer ce sentiment qui habite certains personnels de l’éducation ?
Ce sentiment de dégradation est plutôt lié aux relations entre adultes, un sujet assez peu évoqué dans les médias. Pourtant, les enseignants constatent une nette dégradation. Or, ce sentiment a un impact fort sur leur façon de vivre les relations éducatives et les conflits éventuels. Le rapport aux incidents des personnels d’éducation est très différent s’ils travaillent ensemble, se font confiance, sont encadrés, accompagnés et proactifs dans le cadre du projet d’école ou d’établissement, ou si, au contraire, ils se sentent seuls et isolés dans une classe.
Des équipes en cohésion, c’est ce qui est important pour diminuer le sentiment de mauvais climat scolaire ?
La stabilité des équipes et la façon dont elles travaillent ensemble sont des éléments décisifs. On sait, depuis une vingtaine d’années, que c’est un élément déterminant dans la prévention des violences à l’école. C’est aussi pour cette raison que les établissements les plus sensibles sont aussi les plus durement touchés par les violences : les équipes sont moins stables et moins organisées collectivement. Cette difficulté est d’ailleurs spécifique à la France. Il faudrait y remédier, mais c’est un sujet peu présent dans les multiples plans de lutte contre les violences qui se perpétuent d’année en année.
Quel rôle jouent les réseaux sociaux dans, par exemple, les phénomènes de harcèlement ou de ce qu’on peut appeler violence en ligne ?
Les réseaux sociaux renforcent le harcèlement à l’école, en le diffusant plus largement. En revanche, il faut se méfier d’une fausse idée qui circule dans les médias et chez les personnels d’éducation. Il s’agit de la croyance que le harcèlement n’a désormais lieu qu’en ligne. C’est faux. On assiste à une articulation entre le harcèlement présentiel et virtuel. Les réseaux sociaux participent au harcèlement en l’ancrant de manière forte, mais il ne faut surtout pas le réduire à un phénomène « en ligne » ou « hors ligne ».
Qu’en est-il du harcèlement ou de la violence en ligne dont peuvent être victimes les enseignants eux-mêmes ?
On manque de données sur ce sujet, mais c’est une réelle préoccupation des enseignants. Ils craignent notamment d’être mis en cause sur les réseaux sociaux. Des recherches sont nécessaires pour analyser ces aspects-là de manière approfondie.
Pour autant, le phénomène existe.
Oui, le phénomène existe. Mais quelle est son ampleur ? Difficile à dire. Ce qui est très clair, c’est l’angoisse des enseignants. Ils craignent d’être filmés en classe et que les films soient diffusés. Ils redoutent d’être mis en cause ou attaqués sur les réseaux sociaux, mais aussi que leurs familles soient touchées. Mais dans les faits, on ne dispose pas encore de bases de données fiables pour mesurer le phénomène précisément. Il est fondamental de différencier l’inquiétude suscitée et le fait d’avoir vraiment été confronté à la situation.
Conséquence d’une actualité nouvelle, quel a pu être l’effet de la crise sanitaire sur les relations entre les élèves, les familles et les enseignants ?
On constate des effets assez paradoxaux. D’une part, des tensions liées à l’inquiétude des familles, d’autre part, une prise de conscience de celles-ci qu’enseigner, c’est un métier. Et pas forcément évident ! Les parents découvrent leurs enfants sous un autre jour, lorsque ces derniers deviennent élèves. Les perceptions changent.
Par ailleurs, le confinement a renforcé les relations interpersonnelles. Jamais auparavant les enseignants n’appelaient les familles ou ne discutaient en visio avec les parents d’élèves. Les rapports avec les familles ont évolué, la distance s’est réduite. Cela ne révolutionne pas pour autant la relation école-famille, qui reste complexe en France. Mais si le distanciel a compliqué certaines relations, il en a facilité beaucoup d’autres. Il y aura des effets, mais je ne sais pas encore lesquels.
Finalement, de quoi dépend alors le climat scolaire ?
On distingue 7 piliers du climat scolaire :
- les enjeux collectifs ;
- la justice, à travers des évaluations, mais aussi des sanctions et des punitions ;
- la prévention des violences et du harcèlement ;
- la relation aux familles ;
- l’aspect pédagogique ;
- la qualité de vie à l’école ;
- les modalités d’organisation du partenariat au sein de l’école et autour de l’école.
Le climat scolaire est une notion très systémique qui révèle des informations sur l’implantation et le contexte dans lequel un établissement va se développer. Les politiques d’établissement ont une influence sur les élèves, mais aussi sur les enseignants. Dans un contexte de mixité, le climat scolaire a un impact encore plus fort sur la réussite des élèves. On limite souvent le climat scolaire à une affaire de bien-être, mais ce n’est pas du tout ça ! Le climat scolaire prend en compte les enjeux relationnels, la question de la transmission du savoir et des processus d’apprentissage.
Vous évoquez ces sept piliers. Avez-vous un exemple de bon fonctionnement qui favoriserait un climat scolaire serein ?
Il n’y a pas un seul bon fonctionnement, mais des axes sur lesquels travailler. J’ai déjà évoqué la question de la cohésion éducative. Parlons des sanctions et des punitions. On a, en France, un traitement très idéologique de ces questions, avec le sentiment que finalement, il faut taper fort pour avoir du résultat. La recherche montre que, plus les sanctions sont importantes et nombreuses, moins elles sont lisibles et plus elles engendrent de violence. Le registre extrêmement punitif ne fonctionne pas. En revanche, on voit des établissements, y compris implantés en zone difficile, dont la politique éducative consiste à doser les sanctions et les punitions. Ces établissements ont des résultats nettement plus favorables, concernant par exemple l’exclusion temporaire. Cette mesure doit constituer un dernier recours et non pas un recours ordinaire, comme c’est parfois le cas.