Analyse du Bâtonnier Francis Lec, avocat-conseil national de la FAS & USU

Deux affaires d’agression sexuelle sur des mineurs au sein d’établissements scolaires ont suscité l’émotion publique, l’une dans l’Académie de Grenoble où le Recteur d’Académie n’a pas eu connaissance que le directeur d’école de Villefontaine, accusé en mars 2015 de viol sur plusieurs élèves, avait été condamné en juin 2008 pour détention d’images pornographiques. L’autre affaire dans l’Académie de Rennes relève « des informations perdues » alors qu’en 2011 des poursuites avaient été engagées contre un professeur de sport pour atteinte sexuelle sur son fils et détention d’images pédopornographiques en récidive. Ces faits n’avaient jamais abouti auprès des responsables de l’Education Nationale, qui en conséquence n’avaient pris aucune mesure à l’égard de ce fonctionnaire.

Des dysfonctionnements et des responsabilités partagées par la justice et l’Education nationale ont été relevés par un rapport d’inspection qui a fait l’objet d’une communication par la Garde des Sceaux et la Ministre de l’Education nationale lors d’une conférence de presse le 4 mai 2015 à Grenoble. Pour éviter que ne se reproduisent de tels dysfonctionnements, les deux Ministres ont annoncé une nouvelle loi afin de renforcer les dispositifs actuels et d’assurer un « contrôle pérenne ».

Dans l’attente de connaître ce dispositif, il apparaît essentiel de faire le point sur ce qui existe déjà :

  • la communication des informations entre Justice et Administration lorsqu’un fonctionnaire est mis en cause dans une procédure pénale ;
  • les garanties qui vont accompagner cette nouvelle loi discutée au Parlement durant cet été.

Sommaire

Le principe du secret de l’enquête et de l’instruction

« Echanger avec discernement », le rappel de la circulaire du 11 mars 2015

Une nouvelle loi pour diminuer les dysfonctionnements Justice-Education nationale

Combattre « la culture de l’étouffement tout en préservant la présomption d’innocence et les droits de la défense » pour garantir le devoir d’information en cas d’infraction pénale sur mineur

Conclusion provisoire 

Le principe du secret de l’enquête et de l’instruction

Une dépêche circulaire du 20 décembre 2002 rappelle ce principe du secret de l’enquête et de l’instruction qui doit en principe protéger le fonctionnaire impliqué, et cela au regard de la présomption d’innocence. Des dérogations spéciales permettent cependant au Procureur de la République de diffuser aux administrations qui le demandent des informations qui peuvent intéresser la constitution de dossiers disciplinaires.

« Echanger avec discernement », le rappel de la circulaire du 11 mars 2015

Par cette circulaire, le Garde des Sceaux rappelait à tous les Parquets de France les règles et les recommandations à suivre dans les différentes procédures.

A. La fin de l’autonomie des procédures judiciaires et des procédures disciplinaires

Alors que l’autorité judiciaire se retranchait généralement derrière le secret et l’indépendance de la justice pour se montrer avare dans les communications et informations de toute nature, il est désormais recommandé des échanges d’informations entre les administrations et la justice à l’occasion de procédures qui pourraient intéresser les Magistrats en charge d’une procédure judiciaire contre le même fonctionnaire et vice versa. C’est ainsi que les Parquets devront aviser les supérieurs hiérarchiques d’un agent public lors de l’engagement de poursuites pénales à son encontre.

B. Une information encadrée et limitée du Procureur aux administrations et aux Préfets

Toutes les circulaires prennent cependant le soin de limiter les informations transmises aux administrations et aux collectivités aux mesures privatives de liberté ou rétractant des droits fondamentaux, les Parquets ne pouvant s’affranchir du respect des principes du secret et de la présomption d’innocence. A défaut ils encourraient la nullité des procédures engagées, la Cour Européenne se montrant à cet égard particulièrement vigilante. Rappelons que le Parquet ne pourra communiquer le jugement d’une juridiction qui, en application des dispositions de l’article 775-1 du code de procédure pénale, aura ordonné la non-inscription de la condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire.

C. Le sort particulier et délicat des copies de pièces de procédure pénales réclamées par les administrations

  • Une communication désormais autorisée pour le grand public par le Procureur

La médiatisation accélérée des affaires juridiques a rendu nécessaire que la justice puisse communiquer au grand public certaines informations afin d’éviter la propagation d’informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l’ordre public, comme le rappelle l’article 11 du code de procédure pénale. En fait les Procureurs utilisent de plus en plus les médias pour justifier leurs actions ou se défendre de mise en cause qu’ils considèrent anormales. De telles interventions peuvent cependant créer un déséquilibre dès le départ de la procédure pénale entre la défense et l’accusation.

  • La transmission des pièces « à la discrétion et appréciation des Parquets »

Aucun texte légal n’autorise un Procureur à diffuser les pièces d’une enquête ou d’une procédure en cours. Cependant une interprétation extensive de l’article 11 du code de procédure pénale permet fréquemment au Parquet de transmettre aux administrations des informations et pièces à condition que ces éléments objectifs tirés de la procédure ne comportent aucune appréciation sur le bienfondé des charges. Enfin, il revient aux Parquets d’apprécier souverainement la pertinence et l’opportunité d’une telle communication.

  • Une communication de pièces sélective et parcimonieuse

Une retenue d’informations et de communication de pièces tend à persister même si la jurisprudence autorise un Procureur à transmettre à ses collègues une procédure judiciaire de nature à les éclairer. Les Parquets dans la pratique son extrêmement réticents à faire sortir du Palais des documents dont les intéressés ne maîtrisent pas l’utilisation qui pourrait en être faite par les bénéficiaires. C’est ainsi que les Parquets demeurent prudents par exemple dans la communication d’une expertise psychiatrique qui pourrait être utilisée par une administration dans son appréciation relative à la personnalité d’un de ses fonctionnaires.

  • L’autorisation spéciale du procureur ou des procureurs généraux pour toutes pièces de procédure pénale au terme du procès

Conformément à l’article 156 du Code de Procédure Pénale les pièces autres que les jugements, arrêts, ou ordonnances pénales peuvent être délivrées à des tiers, ainsi que celles relatives à un classement sans suite avec l’autorisation des Parquets, leur décision de refus devant par ailleurs être motivées, cependant le libre accès au public pour la copie des décisions de justice rendues publique est assuré. Dans ce domaine un tel accès de ces décisions est tout à fait possible compte tenu du caractère public de ces jugements.

Une nouvelle loi pour diminuer les dysfonctionnements Justice-Education nationale

Les récentes affaires de pédophilie à l’école ont conduit le Premier Ministre à réunir à la Sorbonne tous les Procureurs Généraux et les Recteurs de France pour mettre un terme aux dysfonctionnements qui ont secoué l’opinion publique. Un rapport d’étape sur ces affaires a d’ailleurs été diligenté par les deux Ministres concernés et ces rapports préconisent des recommandations qui devraient figurer dans une loi destinée à protéger l’ensemble des mineurs à l’école applicable à la rentrée scolaire 2015.

Combattre « la culture de l’étouffement tout en préservant la présomption d’innocence et les Droits de la défense » pour garantir le devoir d’information en cas d’infraction pénale sur mineur

Une lutte importante contre la pédophilie a été conduite sous l’autorité de la Secrétaire d’Etat chargée de l’enseignement, Ségolène Royal, qui avait rendu publique une circulaire en date du 26 août 1997 renforçant le devoir de signalement, et d’une manière générale la protection de l’enfance contre certains prédateurs qui n’ont naturellement pas leur place dans l’enseignement public. Cette circulaire a permis, selon le Professeur Lelièvre, de « faire sauter la chape de plomb qui existait dans l’Education Nationale dans ce domaine ».
Il s’en est cependant suivie une explosion des mises en cause et une présomption de culpabilité à l’égard des fonctionnaires de l’enseignement public qui a abouti à des erreurs judiciaires ou à des mises en cause injustifiables qui ont provoqué des situations dramatiques allant jusqu’au suicide (« Les Profs, l’école et la sexualité » chez Odile Jacob par Claude Lelièvre et Francis Lec).

La future loi devra :

  • combler les vides juridiques afin de renforcer l’information de la justice et des administrations ;
  • respecter impérativement les principes des droits de la défense, chaque fonctionnaire mis en cause devant être informé des pièces et informations transmises à son sujet, et cela d’une manière contradictoire.

Les droits de la défense doivent être renforcés dès lors que le secret de l’information est en partie levé.

Conclusion provisoire

L’intensification du contrôle de moralité des enseignants, et d’une manière générale de tous fonctionnaires mis en présence d’enfants, est au cœur du nouveau dispositif légal bien que présentée comme une amélioration technique des dispositifs de répression existants. Celui-ci existe pourtant avec l’article 30 de la loi du 13 juillet 1983 qui énonce qu’en cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu’il s’agisse d’un manquement à ses obligations professionnelles ou d’infraction de droit commun, celui-ci peut être suspendu par l’autorité administrative qui, sans délai, saisit le conseil de discipline.

C’est encore la circulaire du 26 août 1997 qui recommande à l’Education Nationale de suspendre systématiquement un fonctionnaire dès lors qu’une mise en examen pour des faits de violences sexuelles est prononcée à son égard. De son côté, le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 8 juillet 2002 confirme la révocation d’un enseignant chez qui des cassettes pornographiques, mettant en scène des mineurs, avaient été trouvées. Comme on le constatera, et contrairement à une campagne de presse parfois virulente, il n’existe aucun laxisme des lois, comme de la jurisprudence, chargées de protéger les mineurs exposés aux agressions sexuelles de toute nature, l’information entre la justice et l’administration doivent mieux circuler.

Enfin si d’aucuns se sont en conséquence interrogés sur la nécessité d’un nouveau dispositif légal, un consensus devrait cependant se dégager avec vigueur pour que le préambule de cette nouvelle loi rappelle que l’immensité des fonctionnaires, notamment ceux de l’Education Nationale, exercent leurs fonctions avec probité et honneur.